Le tout dernier long-métrage de Robert Zemeckis ne ressemble à aucun autre film que je connaisse. Dans sa forme, on est clairement dans un exercice de style. En effet, durant 1h45 la caméra ne bougera pas d’un millimètre : plantée à un endroit précis,
elle ne s’autorisera un travelling que durant la toute dernière minute du film.
Devant son objectif défile en forme de patchwork plusieurs périodes qui s’entremêlent dans un joyeux désordre. A l’aide de carrés, les plans s’enchainent, nous faisant changer perpétuellement d’époque, de décor, de personnage. Chaque scénette ne dure que quelques minutes, et elles évoquent des moments clefs dans la vie des occupants des lieux. Partant de ce principe, il fallait à Robert Zemeckis un excellent décorateur, un excellent costumier (et aussi un très bon coiffeur !) et une équipe de montage inventive. Comme devant sa caméra il fait défiler des époques très différentes (le film commence à la fin du crétacé quand même !), les époques devaient être parfaitement rendues dans les détails visuels et c’est particulièrement bien réussi. Il a utilisé l’intelligence artificielle pour rajeunir ses personnages, comme l’avait fait Spielberg avec Harrison Ford dans le dernier « Indiana Jones ». Ici, il s’agit de faire rajeunir Robin Wright et Tom Hanks respectivement à l’époque « Santa Barbara »pour elle et « Big » pour lui ! Comme c’est essentiellement leur destin à tous les deux qui sert de fil rouge au film, il a fallu les rajeunir pour les faire doucement vieillir au fil des scénettes. C’est quand même assez bluffant à voir, même si je comprends qu’on puisse nourrir des réserves parfois sur le procédé et les les limites que l’on doit lui fixer Mais ici, rien de dérangeant, c’est juste impressionnant de revoir des ceux comédiens tel qu’on les a connu dans les années 80. Les différentes histoires ont beau être mélangées, elles sont malgré tout racontées chronologiquement :
des amérindiens tombent amoureux puis fondent une famille, des aristocrates anglais redoutent une révolution américaine qui finit par survenir et les submerger, un aviateur casse-cou du début du XXème siècle finit par succomber non pas à un crash aérien mais à la grippe espagnole, un inventeur fait fortune en pleine guerre mondiale avec un fauteuil relaxant, un couple afro-américain traversent l’époque COVID non sans chagrin, etc…
Et dans un coin du salon, un poste de télévision donne des indices temporels : une série TV, une soirée de réveillon, un évènement historique, un cours d’aérobic, comme cela, on n’est jamais perdu au milieu de ce grand puzzle temporel. Le XIXème siècle est le grand absent du film, pas de Guerre de Sécession par exemple, et on se demande un peu pourquoi : même si « Here » n’a surement pas vocation à être un catalogue exhaustif, ça interroge un petit peu. C’est la destinée de Richard et Margaret qui sert de fil rouge au scénario, même si l’histoire des parents de Richard (Rose et Al) prend aussi beaucoup de place. Comme il l’avait fait dans « Forrest Gump » mais d’une manière différente, Zemeckis fait défiler l’Amérique d’après-guerre sous sa caméra : les parents vieillissent, les amours naissent puis se fanent, les enfants quittent le nid
(ou pas),
les illusions se perdent, les regrets se font plus aigus, les premiers signes de l’âge se font sentir. On pourra objecter que si la forme est ludique, inventive et originale, le fond est très mince. A part quelques bribes (le passage contemporain sur la question raciale par exemple), on reste perpétuellement à hauteur de petite vie tranquille de la middle class américaine qui vit dans une grande maison (selon les standards européens !) et tire un peu le diable par la queue. Si tout sonne juste dans l’histoire de Richard et Margaret, on reste dans malgré tout à la surface des choses, aucun sujet grave n’est réellement abordé. « Here » c’est avant tout un empilement de tranches de vies américaines, des vies toutes simples. Le film ne cherche pas à être autre chose que cela, il faut l’accepter comme tel sous peine de trouver l’exercice de style un peu vain. Le casting est pléthorique et outre la toujours merveilleuse Robin Wright et le parfait Tom Hanks, on soulignera la composition de Paul Bettany, Kelly Reilly, David Fynn ou encore Michelle Dockery (qui n’en a pas encore fini visiblement des rôles à costume), tout le casting est très bien même si on peu regretter que certaines époques aient été un peu sacrifiées au profit d’autres. « Here » est donc une sorte de curiosité cinématographique à découvrir, le film est ludique, on ne voit pas le temps passer car on ne reste que quelques minutes à chaque fois sur chaque scénette. On sourit souvent, on est émus parfois, on regarde défiler avec plaisir toutes ces vies si différentes et si semblables.