Romance gastronomique
Tran Anh Hung, le cinéaste franco-vietnamien, est loin d’être un inconnu. Il s’était fait un nom en 1992 avec L’odeur de la papaye verte couronné d’un César et la Caméra d’Or à Cannes. Il avait alors 30 ans. Cette fois encore il réussit son pari avec un film plus qu’original qui va représenter la France aux prochains Oscar. Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l'admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle. 134 minutes d’une beauté rare, on en a plein les yeux tout en nous mettant en appétit, mais, revers de la médaille, c’est tellement beau et alléchant que le scénario en devient secondaire pour ne pas dire fade. Cette fois, la forme dévore le fond.
Dodin Bouffant voit le jour en 1924. Et pourtant, il n’a jamais existé. Il n’est que le héros d’un roman de Marcel Rouff, historien renommé et incorrigible épicurien. Au fil du XXème siècle, ce personnage est devenu une légende vivante. Dans les années 1970-1980, le commun des mortels était persuadé que le chef cuisinier du très chic restaurant Dodin Bouffant n’était autre que celui-ci ! Ledit restaurant a aujourd’hui fermé ses portes. Mais une légende ne meurt pas. Elle perdure. La preuve avec ce bijou alors qu’a priori, la cuisine ne semble pas un sujet particulièrement cinématographique. Pourtant, Tran Anh Hung fait le pari du huis-clos, dans le château du Raguin dans le Maine-et-Loire, de filmer avec une seule caméra, sans musique, seuls nous accompagnent les bruits de la nature, des plats qui mijotent, de la vaisselle, des ustensiles de cuisine et les dialogues – souvent un tantinet ampoulés -… je vous le dis : un pari. Mais qu’importe, l’intrigue est minimaliste, seule compte l’esthétique admirable, où ont été convoqués l’esprit des plus grands peintres, Le Nain, Vermeer, Rembrandt, ou Renoir pour les scènes champêtres. C’est beau à n’en plus pouvoir, mais on ne pense plus qu’à ça. Pour ajouter au naturel, tous les mets cuisinés et servis sont réels, entièrement supervisés par le grand Pierre Gagnaire lui-même – qui nous gratifie d’ailleurs d’une courte apparition -. Que ce film ait obtenu le Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes est parfaitement compréhensible. Que le grand public et, à fortiori, la profession qui votent pour les Oscar aux USA, soient séduits par une telle expérience sensorielle… j’en doute. Mais je ne demande qu’à être démenti.
Juliette Binoche et Benoît Magimel, qui se partagent le haut de l’affiche, avaient connu une histoire d’amour durant 4 ans, après le tournage des Enfants du siècle de Diane Kurys, liaison de laquelle était née une petite Hana. Ils sont admirables tous les deux de justesse et bouleversants de douceur et d’humanité. Ils sont fort bien entourés pas Emmanuel Salinger, Patrick d’Assumçao, Galatea Bellugi, et la jeune Bonnie Chagneau-Ravoire. Les recettes sont ici cuites à cœur, mais les sentiments les plus justes aussi. Du romantisme épicurien mijoté avec amour pour le spectateur… qui a intérêt à réserver une bonne table pour après la séance… Alléchant.