Tran Anh Hung est entré dans le monde du cinéma au travers de trois films éblouissants: L'odeur de la papaye verte, A la verticale de l'été -si poétiques-, et Cyclo -si fort.
Il est arrivé en France à 13 ans, chassé par le climat politique. Je l'avais interviewé pour un journal, dans les années 2000, quand il entamait sa traversée du désert. Ce que les producteurs attendaient de lui: des vietnameries, et il ne voulait plus travailler sur des films à l'exotisme reconstitué dans la banlieue parisienne; sur un pays, qui, au fond, n'était plus vraiment le sien. Mais il faut reconnaître que, malheureusement, Tran n'a, ensuite, jamais retrouvé la grâce de ses premiers opus.
Pour cet opus actuel, le voilà embarqué dans l'adaptation d'un livre de 1920, écrit pas un certain Marcel Rouff et inspiré, nous dit on, de la vie de Curnonsky, dit le Prince des gastronomes, à moins que ce ne soit de celle de Brillat-Savarin..., La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet.
La bouffe! quoi de plus français.... La bouffe somptueuse, où la truffe est reine, où les ingrédients mijotent dans des cocottes en cuivre avant d'être savamment assemblés... La bouffe, quoi de plus français? C'est là que la sororité avec le Vietnam s'impose: car le Vietnam est l'autre pays où la bouffe est sacrée, où l'on émince, où l'on mijotte... Ou l'on associe des éléments surprenants, créant des gouts surprenants... Et où les hommes n'ont aucune gêne à mettre le nez dans la marmite.
Donc Dodin (Benoît Magimel bien enrobé; il est loin le petit Groseille!!) est un notable de province dont le plus grand bonheur est de passer sa vie dans sa cuisine (quelle cuisine!! on en rêve!!), en compagnie de sa cuisinière, Eugénie (Juliette Binoche). Cuisinière-maitresse, qui suivant l'humeur du jour lui ouvre la porte de sa chambre -ou pas, qu'il voudrait bien épouser -mais non. Il lit, il imagine, il invente des plats qu'elle réalise à la perfection, et qu'ils serviront à une poignée d'amis, tous biens dodus et bon gueulards, comme Grimaud (Patrick d'Assumçao) ou le docteur Rabaz (Emmanuel Salinger). Bien sûr, le choix des vins est à l'unisson...
Etrange monde que celui qui nous est décrit, toujours en été, dans des paysages bucoliques et charmants où les potagers ressemblent à des jardins. Etrange monde où les différences et les classes sociales n'existent pas. Merveilleux monde où l'amour peut se vivre autour d'une oeuvre commune, la cuisine, aussi bien que dans un atelier pour Auguste Rodin et Camille Claudel... Une partie de la critique, curieusement dans la presse de gauche (ceux pour qui un repas convenable réside, sans doute, en un magret de canard entièrement végétal assaisonné d'une délicieuse sauce à la graine de Chia et aux fleurs de salsepareille) a détesté. Furieuse du prix de la mise en scène, à Cannes, furieuse de la sélection pour les Oscars... Moi, parce que j'aime Tran et ne conçoit que le magret de canard qui fait coincoin, j'aurais aimé l'aimer mieux.... mais je reconnais que j'ai trouvé le film bien long, surtout vers la fin.
A la fin de certains films, on précise qu"aucun animal n'a été maltraité pour les besoins du film" Bon ben, là, on peut dire que nombre de poulets, turbots, veaux et autres bestioles ont été maltraitées... et ont même trouvé une fin glorieuse en vedettes de cinéma...
Mais c'est bien de remettre en évidence la véritable cuisine, celle où l'on mange, et où on ne se contente pas de contempler une assiette pleine d'un vide très artistique et très onéreux.... Ah, ces sauteuses où rissolent petits légumes en menus morceaux, champignons, échalottes dans un déluge de beurre... Ah, ces larges tranches de truffe que l'on glisse sous la peau d'une volaille qui va cuire, bien emmaillotée, dans un bouillon enrichi par d'autres volailles... Ah, ce vol au vent aux quenelles et écrevisses dont on suit l'élaboration au long des vingt premières minutes du film, sans musique et quasiment sans dialogue... Cette cuisine, on la filme comme une peinture flamande; on est transporté dans un univers intemporel.
Mais bon. Est ce que ça fait vraiment un film?