Ce premier long-métrage de fiction « Les fantômes » de Jonathan Millet, réalisateur venu du documentaire ("Ceuta, douce prison") est inspiré de faits réels. Il est né d'un long travail d'enquête sur les cellules d'exilés syriens chargées de débusquer les criminels de guerre du régime de Bachar Al-Assad et de Daesh qui ont tenté de fuir en Europe pour se faire oublier.
La mise en abyme de ce récit est resserrée entièrement sur le personnage principal Hamid (Adam Bessa, acteur tunisien), rescapé de la prison militaire de Saidnaya, près de Damas – la plus meurtrière du régime syrien. Adam Bessa, sobre et puissant, incarne un père de famille qui a tout perdu. Un homme hanté par la torture et l'horreur de la guerre, tiraillé entre sa soif de justice et la tentation du pire.
On le découvre en 2016, à Strasbourg où lui a été accordé un statut de réfugié, après être revenu comme un miraculé, de l’enfer. Il traverse le récit comme il parcourt les villes (Strasbourg, Berlin, Beyrouth, Paris), telle une ombre silencieuse. Sa mission : retrouver son ancien bourreau dont le visage lui est inconnu, puisque le sien, pendant les interrogatoires, était recouvert d’un sac. Ce thriller psychologique nous tient en halène du début à la fin et joue avec nos nerfs ; Le regard d’hamid nous absorbe, devient nôtre et donne forme aux fantômes. Il refuse toute scène d’action. Cette redoutable traque met le doute au cœur de pratiquement toutes les scènes, faisant de nous spectateurs les témoins d’agissements flirtant avec la limite du tolérable.
Dans ce récit du jeu du chat et de la souris, Hamid (Adam Bessa) épaulé par Nina, l’informatrice (Julia Franz Richter, actrice autrichienne), sont à la poursuite d’un tortionnaire présumé, Hafaz (Tawfeek Barhom, acteur palestinien, vu par exemple dans "La Conspiration du Caire").
« Les Fantômes » accorde une place essentielle à la sensorialité à l'ouïe et l'odorat. Les postures remplacent les dialogues. La musique, forte parfois jusqu'à l'obsession, vient dire le bouillonnement intérieur d'Hamid.
Jonathan Millet laisse hors-champ toutes les images trop signifiantes comme la torture, les enfants et les conjoints assassinés. Même les cicatrices du héros ne sont que suggérées. Son expérience documentaire, tout comme sa connaissance de l’étranger, puisqu’il y a vécu et filmé des heures d’images et plusieurs courts-métrages, a nourrit sa vision.
« Les Fantômes » est un film d’espionnage qui fait la part belle aux sens et au ressenti, et où l’anti-spectaculaire est de mise. La délicatesse de la mise en scène n’en est que plus pertinente pour installer le climat progressivement suspicieux sans jamais un coup d’éclat.
En guise de conclusion : un casting international d’acteurs formidables, méconnus en France et un scénario à suspens pour un résultat à nous donner des sueurs froides !
Son enjeu : Faut-il faire justice soi-même ou s’en remettre à la Cour Pénale Internationnale ?
Un grand bravo !