Fable homérique
Depuis 2008 et son excellent Gomorra, suivi de Reality, Dogman, Matteo Garrone peut être qualifié d’incontournable du cinéma italien – il a d’ailleurs reçu le Lion d'argent du meilleur réalisateur à Venise -. Mais je pense qu’avec ces nouvelles 122 minutes, il réussit son meilleur film. Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité. Les migrants sont de venus un sujet récurant dans le cinéma européen, mais, à mon humble avis, celui-ci offre le meilleur point de vue et surtout le plus original sur ce drame humain. Magnifique !
La plupart des films sur cette thématique nous parle de l’accueil, de la survie des migrants une fois qu’ils sont arrivés en Europe. Cette fois, Garrone met en images une partie du voyage que l'on ne voit pas habituellement, ce qui s’est passé avant. En résulte une sorte de récit épique contemporain impressionnant et bouleversant. Le film n'est pas tiré d'une histoire vraie précise mais est né du tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. Pour ce faire, le cinéaste a privilégié une vision radicalement opposée à celles des médias. Optant pour une démarche la plus authentique possible et loin de tout didactisme, il touche au plus juste et au plus fort de ce périple de l’horreur. Mais le récit, submergé par une profonde humanité et une profondeur spirituelle rares, devient la voix des sans-voix et nous explique ce désir d’Europe rêvée comme une terre de liberté absolue. Ce drame n’exclut pas les images sublimes du désert, de la mer et les moments de grâce absolue. On ne peut qu’espérer que ce film admirable soit un moyen de toucher les consciences à l’international et d’engendrer, peut-être, une forme de changement.
Seydou Sarr, prix d’interprétation à la Mostra de Venise, éclabousse ce film de son jeune talent. A ses côtés, tout le monde est impeccable en particulier Moustapha Fall et Issaka Sawadogo. Mon 1er coup de cœur pour 2024, provoqué à la fois par le réalisme et l’ambition du scénario, la splendeur de la photographie et la perfection de l’interprétation. Ce faux documentaire est un vrai grand film à voir absolument. La boule au ventre !