Un seul mot: chef d'oeuvre. Le film le plus beau, le plus puissant, le plus dérangeant vu, depuis.... longtemps, longtemps, longtemps...
C'est un thriller, certes, mais surtout une fable qui donne à réfléchir. Un nouveau virus frappe la planète entière: ceux qui en sont atteint se transforment petit à petit en animal, toute sorte d'animal, n'importe quel animal. On comprend donc tout de suite que Thomas Cailley nous emmène dans l'allégorie. Dans la voie du possible qu'aurait explorée un simple thriller, les "malades" subiraient tous la même régression.
Le réalisateur a aussi l'intelligence d'éviter l'écueil Frankenstein: on ne fait qu'entrevoir, de façon très vague et floue, les transformés. Un seul est mis en valeur: l'homme aigle, (Tom Mercier),
en cours de mutation quand il s'essaye au vol....
La transformation est lente et progressive. La voix change progressivement, jusqu'au moment où il ne reste plus que le cri. Que faire des malades? Les cacher dans des centres, tandis que le reste de la population continue à vivre comme si, comme si elle n'était pas concernée. Et, évidemment on pense à la lèpre. Les lépreux enfermés dans les léproseries, et le reste de la population vivant comme si. Jusqu'au jour où on découvrait, sur son corps, la première marche de flétrissure, qu'il faut alors cacher pour continuer à vivre le plus longtemps possible dans le monde des humains, avant d'être obligé de rejoindre celui des "monstres".
Imaginez un preux chevalier essayant de cacher celle qu'il aime, pour qu'elle reste avec lui, sous sa protection, le plus longtemps possible: c'est François (Romain Duris).
Je ne suis pas une fana de Romain Duris, mais dans ce rôle, sans doute son meilleur, il est formidable, lui donnant une densité exceptionnelle. La force publique lui a pris sa femme atteinte, l'a emmenée dans un centre au Sud. Il part pour rester près d'elle, trouve un nouveau travail, emmenant son fils Emile (Paul Kircher). Voilà un couple bien classique, un père autoritaire, bourré de bons principes, on fait comme ci, on fait comme ça, on ne mange pas de junk food... Et un ado révolté contre tout, le déménagement..
. et l'obligation de revoir ce qu'est devenue cette mère qui le terrorise.
Jusqu'au jour où il découvrira, sous un ongle, la naissance d'une griffe.
Ce Sud, qu'on ne sait où situer, c'est une forêt mystérieuse comme une forêt de contes de fées, dense mais lumineuse au dessus d'un épais tapis de fougères et de plantes traçantes, autour d'étangs qu'on verrait bien habités de divinités... Des mutants ont pu s'enfuir, et quand on voit la brutalité de ceux qui les pourchassent, comme une scène de chasse (en Bavière...) où le plaisir de tuer est une fête, on se dit: où est la bestialité? Qui a t-il dans notre oeil quand il préfère se détourner de certains déficients mentaux dont la vue nous gêne; pensons aussi à toutes ces malheureuses gueules cassées de la guerre de 14 qui devaient cacher leur défiguration sous des masques... Non seulement Cailley filme la forêt comme personne, mais il nous donne profondément à réfléchir sur notre regard porté aux autres.
A noter Adèle Exarchopoulos dans le rôle d'un gendarme, empathique et compatissante.
Ne pas voir ce film serait plus qu'une bêtise: une faute.