Parfois, sans que l'on sache vraiment pourquoi, il y a des œuvres dont on a besoin. Ce ne sont pas toujours celles qui nous attirent en premier lieu, mais celles qui ont ce quelque chose, ce petit truc qui détonne et qui, pour nous, à ce moment précis, fait écho à ce que l'on ressens, même sans vraiment le savoir. On en a besoin, car c'est en nous. Une petite part sensible qui ne demande qu'à s'exprimer, en réaction à une manifestation, un propos. On peut s'y attendre, mais souvent, c'est parfaitement inattendu. Ca vient de nulle part, nous laissant avec cette idée : Qu'est-ce que je viens de vivre ? On y pense alors, et on est perdu. Le temps, seul, rend plus compréhensible l'expérience vécue.
Pour moi, The Outrun est complètement dans cette catégorie. Cela faisait longtemps que je n'avais pas été autant bouleversé par une œuvre. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais The Outrun m'a fait penser à certains moments difficiles de ma vie. Des moments que jamais, je n'aurais cru voir si bien retranscrits à l'écran. J'ai été profondément ému par sa façon d'aborder l'alcoolisme. Tout est tellement juste… L'attitude de Rona quand elle est sous l'emprise d'alcool, excessive, violente autant physiquement que verbalement, dangereuse pour elle même et pour les autres, les réactions de Daynin, son conjoint… J'ai pleuré avec lui, voyant comment, petit à petit, l'alcoolisme de sa compagne le rongeait, réduisant ses certitudes à néant en le consumant inexorablement de l'intérieur. J'ai été touché car c'est avant tout ça, l'alcoolisme : Les proches qui souffrent en voyant qu'ils ne peuvent rien faire, juste assister, impuissants, au mal-être de l'autre. Et subir. Daynin m'a ému pour son désarroi : Il aime Rona, mais il est incapable de l'aider ou même de la protéger, et il ne peut se protéger lui même. Dès lors, que lui reste t-il à faire ? Et Rona… Quelle personne, quelle rage de vaincre la maladie et d'aller de l'avant… Rona est touchante ; elle souffre, lutte constamment contre ses démons, auxquels s'ajoute la culpabilité d'avoir détruit son couple et fait du mal à l'homme qui partageait sa vie (homme qu'elle aime, toujours, au demeurant) ; elle se bat sans arrêt pour ne pas replonger, ne cesse de rechercher des solutions pour occuper son esprit. Mais c'est difficile, car l'alcool a ceci de particulier d'être une drogue légale. Partout ou presque, elle trône en majesté, tentatrice qui peut réduire à néant une somme d'efforts en quelques instants. The Outrun est un film dur, car il raconte avec un indéniable accent de vérité ce que c'est, que d'essayer de s'en sortir : Il y a ces périodes de haut, ou tout semble aller au mieux dans le meilleur des mondes, et, régulièrement, ces bas - le spectre de la maladie ressurgit alors, et l'alcool tente. Pourquoi pas une petite goutte, un petit verre ? Se laisser tenter c'est replonger pour un plaisir momentané, illusoire car il en appelle d'autres qui ne peuvent conduire qu'à la perte de soi, et des gens que l'on aime. Dans cette situation, la force de Rona est d'admettre qu'elle est malade. Première étape nécessaire pour entamer des soins, elle est la plus importante ; il est tellement plus facile d'être dans le déni. Puis, elle décide de fuir son environnement pour s'isoler. L'image, alors à la mesure des paysages magnifiques des orcades, peut-être aisément comparée avec l'état mental de Rona. Son alcoolisme devenu une toile de fond, le sujet bascule ; on assiste à sa lente et délicate reconstruction, à ses peines puis à ses joies. Car finalement, elle n'est pas tout à fait seule, dans cet univers de bout du monde et de solitude. Arrivée en quête d'elle-même, Rona découvrira que si l'essentiel de l'effort ne peut venir que de ses propres initiatives, des personnes sauront l'épauler un peu en chemin. Car enfin, c'est ça, l'alcoolisme : On n'est jamais vraiment guéri, et c'est toujours difficile. Seulement, avec le temps, on apprend à vivre avec, à l'apprivoiser, et à un peu mieux le gérer.