Le film du film dans le film
Le cinéma de Cédric Kahn ne laisse jamais indifférent. Si je cite, Fête de famille, La prière, Vie sauvage, et tout dernièrement, Le Procès Goldman, vous comprenez un peu mieux de quoi je veux parler. Cette fois il s’essaie à la comédie douce amère, pendant 114 minutes. Et c’est franchement une réussite. Simon, réalisateur aguerri, débute le tournage d’un film racontant le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec sa propre équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of. C’est un film sur le travail du cinéma et non une réflexion sur le 7ème Art. Le microcosme est ici analysé, ausculté, démantibulé par un scénario inventif porté par un casting épatant. Un des films du moment.
Ça fait beaucoup penser au dernier et génial Moretti, Vers un avenir radieux. Et pour moi, c’est un immense compliment. On ne parle pas ici de la mythologie du cinéma, mais de ses aspects politiques et sociétaux. Cédric Kahn précise qu’il a voulu montrer les rapports un peu délirants qui peuvent se nouer autour d’un tournage, la pâte humaine. Mais, ne cherchons pas ici les « bons et les méchants », le film évite tout manichéisme facile, ici, dans le fond, tout le monde a raison… et tort à la fois. C’est ce genre de contradictions qui rend ce film passionnant. D’autant qu’il sait éviter tout folklore, et, en creusant jusqu’au bout le concept de mise en abyme, il nous propose un des films les plus intelligents et jouissifs de ce début 2024.
Denis Podalydès, sublime de fragilité et de contradictions, confirme qu’il est un immense acteur. Jonathan Cohen est comme souvent irrésistible. Stephan Crepon, pour son 1er grand rôle, se révèle profond, gracieux, habité. Ce sont Souheila Yacoub, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli, qui complètent le haut d’une affiche +++. On peut être drôle et très émouvant, c’est le cas de cette comédie dramatique, qui, comme l’avait montré Truffaut dans La Nuit américaine, prouve que réussir un film tient le plus souvent du miracle.