Nous n'irons plus à la guerre, c'est elle qui viendra à nous.
Civil War est un film d'anticipation qui donne l'impression de ne pas tant anticiper que ça. Et c'est ce qui est glaçant ! Dans ce road trip en pleine nouvelle guerre civile américaine au cours duquel Alex Garland exacerbe les scissions politiques et sociales du pays, on suit une équipe de reporters décidés à rejoindre Washington depuis New-York pour interviewer le président.
S'il n'est pas exempt "d'incohérences" dans ses derniers instants, incohérences pardonnables et discutables mais maintes fois relevées par les spectateurs, qu'ils aient aimé ou non, il a été pour moi un véritable choc visuel qui m'a bousculé, presque terrifié, abasourdi pour différentes raisons sur lesquelles je préfère m'attarder.
Reporters sans fard
Le premier choc va à Kirsten Dunst. Son visage fatigué, marqué et vieillissant témoigne d'abord des années qui passent pour l'actrice mais il va très vite refléter le vécu et les cicatrices de Lee, son personnage de reporter photo. On comprend rapidement que les conflits vécus et le poids des images ramenées de ses voyages, décrits en une séquence condensant l'horreur des conflits mondiaux, la leste d'un poids inhibant ses émotions. Imperturbable face aux pires instincts de ses semblables, voici le prix à payer pour ce travail qui la ronge doucement.
Mais l'actrice n'est pas seule à nous en mettre plein la vue. Wagner Moura qui lui est diamétralement opposé semble, malgré quelques fulgurances attendrissantes envers la débutante Cailee Spaeny/Jessie et un réel attachement pour ses pairs, se nourrir de l'adrénaline sécrétée par les situations à risque qu'il pourchasse comme autant de chimères grisantes. Attitude aussi déstabilisante pour nous qu'elle le sera pour lui à mesure que défilent les kilomètres. Stephen McKinley Henderson, visage de l'expérience dans ce métier, complète avec son personnage de Sammy, ce quatuor prêt à se retrouver entre deux feux pour témoigner de ce moment.
Un casting solide donc et des personnages stéréotypés certes mais pour lesquels on tremblera au fur et à mesure des situations qui jalonneront leur trois jours de voyage.
L'idée d'en faire les héros du film pousse encore plus loin le malaise, faisant d'eux des spectateurs volontaires (comme nous) pour témoigner d'un conflit historique dans lequel ils ne s'impliquent pas dont on se doute qu'il les marquera et les impliquera inévitablement.
Un flou maîtrisé
On saura d'ailleurs très peu de chose sur cette guerre civile si ce n'est que 2 états, le Texas et la Californie, se sont alliés pour renverser le pouvoir en place. Un flou qui, même si on identifie géographiquement le conflit, permet de jeter de l'huile sur le feu de nos craintes et d'exporter la cruauté qui jalonne le récit au delà des frontières américaines. Car c'est ici tout un monde occidental qui se retrouve malmené par nos plus bas instincts. C'est une guerre comme l'histoire récente n'en comptait plus jusqu'à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, c'est une guerre possible qui surfe sur le climat actuel et les dissensions qui y sont associées, c'est une guerre entre ennemis qui se ressemblent, contrairement à toutes celles menées jusqu'à maintenant par les Etats-Unis, à des milliers de kilomètres de chez eux. Cette situation rendra chaque moment tragique d'autant plus impactant que mis bout à bout, ils agrandissent une brèche de laquelle jaillissent nos craintes. Nul doute qu'Alex Garland cherchait à nous faire toucher du doigt ce qui nous paraissait encore impensable il y a une vingtaine d'années et il le fait avec brio.
Terrifiantes exactions
La maîtrise du réalisateur explose dans les moments de tensions qui vont crescendo jusqu'à l'apparition d'un Jesse Plemons encore une fois dantesque en seulement quelques minutes à l'écran. Un flegme et une décontraction dans les pires atrocités qui rappelle son personnage de Todd dans Breaking Bad et qui m'ont fait passer un des pires moments de cinéma de ces deux dernières années (adieu mes ongles).
Si le danger est bien évidemment partout, Alex Garland s'applique à créer ce climat d'insécurité permanent même dans les moments en apparence calmes ou décontractés et, il nous prend parfois adroitement à revers comme lors d'une course poursuite en voiture ou au travers d'un mini parc d'attractions routier improvisé.
Le réalisateur d'Ex Machina, Annihilation et Men trouve donc enfin grâce à mes yeux en alliant parfaitement sa mise en scène à son propos. Bien plus terre-à-terre et cru que ces précédents films, Civil War vise juste. Des ruptures de tons dans la mise en scène, une bande originale et une scène de brasier nocturne qui dénotent avec les pires atrocités, une séquence d'action finale impressionnante, tout est maîtrisé jusqu'à la conclusion qu'on imaginait, jusqu'à un générique argentique qui fait écho à l'actualité et finit de révéler les obsessions assouvies de personnages qui tirent parti du chaos.