Le cinéma caméléon de Guillaume Nicloux, aussi protéiforme que la diversité des thématiques abordées, ne cesse d’interroger la propension de l’homme à affronter l’inertie de sa condition : quête vengeresse du soldat Tassen qui mute en égarement sensitif (Les Confins du monde, 2017), détresse spirituelle de Suzanne Simonin qui peine à s’épanouir dans un microcosme tout à la fois saint et vicié (La Religieuse, 2013), rapt burlesque d’un auteur à succès (L’Enlèvement de Michel Houellebecq, 2014), cure thermale au cours de laquelle deux artistes méditent sur l’existence et la dégradation du corps (Thalasso, 2019), pèlerinage dans la Vallée de la Mort d’un couple de parents endeuillés par la disparition brutale de leur fils (Valley of Love, 2015), etc.
La Petite est plus proche de ce dernier film, Valley of Love, chef-d’œuvre d’ineffabilité faisant naître un mystère religieux au sein d’un cadre désertique traversé par deux personnages athées ; cependant, là où celui-ci alliait retenue et distance, affichant une grande et belle pudeur, le présent long métrage prend le contre-pied et s’enlise dans la guimauve des bons sentiments que rythme le piano lénifiant de Ludovic Einaudi. Le caractère taiseux et introverti de Joseph n’a pas suffisamment le temps de s’incarner à l’écran qu’il se voit explicité par les dialogues, par la voix de sa fille et par la sienne propre qui reconnaît, à plusieurs reprises, ne pas aimer parler ; dès lors, la quête sensible mute en opportunisme fleur bleue, que vient déjouer un segment médian durant lequel le protagoniste trouve dans son égarement spatial à Gant une métaphore de son exil intérieur.
Le regard porté sur la PMA, important compte tenu de la carence en fictions sur ce sujet contemporain, a l’intelligence de glisser de revendications d’appartenance et de législation à l’éloge de l’humain quelle que soit son origine ; aussi la naissance du bébé occasionne-t-elle un moment de flottement et de malaise : à qui appartient l’enfant ? quel prénom lui donner ? quel avenir, en somme ? Le film conçoit un dernier acte quelque peu prévisible et lourd dans son exécution, mais pertinent dans la transformation de l’ancien père défaillant en figure paternelle de substitution pour qui compte davantage la beauté d’un berceau sculpté que son prix d’achat. Ainsi, il fait voler en éclats la répartition conventionnelle des rôles au sein de la cellule conjugale, célébrant la recomposition et la réparation à l’instar des meubles que Joseph restaure par amour. Il offre à Fabrice Luchini un beau personnage, l’occasion de sortir de son personnage médiatique de littéraire hâbleur pour sillonner des territoires enfouis – car les films de Nicloux ne sont-ils pas, à leur manière, des documentaires sur leurs acteurs ?