Le « Retour des Hirondelles » est le premier film de Li Ruijun à être distribué en France. Le titre international du film résonne assez tristement avec son destin : « Return to Dust » (retour à la poussière), c’est en effet ce dont il a été constamment menacé par les autorités de son pays, la Chine. Tout commence l’an dernier, lorsque le film est sélectionné à la Berlinale alors qu’il n’a pas encore été visionné par la censure officielle. Le film est d’abord censuré, les autorités demandent d’en modifier la fin , avant d’être retiré des salles et des plates-formes bien qu’ayant fait salles pleines, en Chine, dès sa sortie.
Le film de Li Ruijun critique la désintégration de la société rurale derrière l’histoire d’un couple qui, après un mariage forcé, tente péniblement de se construire, une campagne qu’il écrit comme mourante, en proie à une destruction orchestrée par les potentats locaux avides de gains rapides en détruisant maisons et terres agricoles.
Il serait cependant réducteur de considérer le film dans sa seule dimension sociale. C’est une singulière et émouvante histoire d’amour entre deux exclus, frère Ma Youtie, dit « Iron », petit dernier d’une fratrie dont les deux aînés sont déjà décédés. Il est celui qui est le plus attaché à sa terre natale et à son activité d’agriculteur, cultivant du blé, du maïs, ainsi qu’un peu d’élevage par le biais de poules et de cochons. Son frère ainé toujours en vie réside en ville et le traite comme un employé, voire même comme un idiot, plus une charge qu’un frère…et Cao Guijin, devenue handicapée à force de maltraitance, qui embarrasse sa famille à cause d’une incontinence qui la fait passer pour une bête curieuse…
C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles, une simple formalité administrative, une opportunité pour les deux familles de se délester de deux membres disgracieux et pesant pour leur confort…
Li Ruijun met peu à peu en scène une forme de tendresse sans mièvrerie, une solidarité dans le couple qui s’exprime loin des autres – loin des règles de société ou du jugement familial…
En dépit de sa lenteur, et aussi de sa longueur, c’est un beau film aux images somptueuses …, dont la maîtrise de la mise en scène, de l’écriture et de la photographie est stupéfiante. Autant le récit refuse le sensationnel et se contente de regarder pendant plus de deux heures un couple d’une magnifique simplicité, autant le film touche quasiment la perfection.. L’histoire se résume à ce couple qui, peu à peu, se construit une maison pour leur âne, leurs quelques poules et leur cochon, ne possédant vraiment qu’une charrue et un animal de trait. Le réalisateur s’attache à les filmer dans l’intimité merveilleuse de leur quotidien... Également scénariste et monteur sur ce nouveau projet, il a recruté par souci de réalisme la plupart des interprètes principaux parmi les locaux : Wu Renlin, ( un fermier dans la vraie vie, et oncle du réalisateur) dont le jeu touche en plein cœur, face à l’actrice professionnelle Hai Qing , remarquable Guijin, dans une sorte de stupeur ralentie…
Les corps sont éloignés, la chair semble absente de cet amour sublime, les mots surgissent petit à petit, trahissant entre les deux, une affection emprunte d’admiration, d’amitié et de respect. Ils s’aiment sans bruit, sans effusion charnelle. Le dos vouté de la femme, le pas hésitant de l’homme ne les empêchent pas de se bâtir une vie qui pourrait ressembler au bonheur absolu. La pauvreté des paysans chinois, pourtant si écrasante, semble s’absoudre dans la candeur de leur existence. Bientôt, après le mépris, survient la jalousie des villageois qui voient dans leur couple l’amour dont eux-mêmes se sont privés.
Mais « Le Retour des hirondelles » n’est pas un conte et s’il laisse entrevoir la possibilité d’une vie si ce n’est meilleure, au moins humaine, le réalisateur ne perd pas de vue la dureté du quotidien. Le film traite d’une urbanisation et d’une exploitation qui n’ont strictement rien à faire de l’individu.. Li Ruijun capte à merveille toutes les énergies contraires qui composent la société rurale de la Chine contemporaine pour en faire un réquisitoire fort, beau et violent à la fois. La violence est pourtant hors champ, mais elle envahit l’écran comme la pelleteuse qui emporte tout : maison, humains ou nid d’hirondelles. Sur la longueur, le film manque parfois de variations et a un côté bloc mais il ne reste qu’à espérer que cette œuvre magnifique puisse être vue et appréciée à sa juste et grande valeur.