Il y a un réflexe naturel à imaginer ce que serait un film si telle direction avait été empruntée, si tel passage imprévu avait bouleversé la perception sur son entièreté, ou occasionnellement si le long-métrage était sorti avec dix ou vingt ans d'avance. Bien, par bien, la question n'est là puisqu'il s'agit presque d'un automatisme pour un spectateur. Dogman m'a poussé à me poser les trois questions susmentionnées en cours de visionnage et évidemment après son générique final. En arriver là, c'est admettre que Luc Besson ne sait plus quoi raconter.
Les bandes-annonces et la promotion faisaient penser au récent Joker de Todd Phillips. Régulièrement attaqué pour pour son écriture défectueuse voire même délictueuse, Besson évite cette fois de répliquer le film de Phillips tout en y repiquant certaines idées pour les mettre à sa sauce. Dont acte. Il s'agit d'un énième personnage d'inadapté en décalage avec son environnement, avec les autres. Figure sacrifiée et sacrificielle par excellence, héros ambigu et incompris, voué à un carnage pour exister au yeux de tous,...Oui, le scénariste a déjà filmé ça une fois, deux fois, trois fois voire plus. Et en mieux. On admettra que l'homme n'a jamais été subtil à la plume ou derrière une caméra, ni hier ni jamais. Pour peu que l'émotion soit de la partie, les quelques fautes sont atténuées sinon pardonnées. Le Besson du jour est hélas bien mal inspiré malgré la très bonne prestation de Caleb Landry Jones. Non seulement il radote, mais il le fait mal.
Dans le registre d'un conte, on aurait pu accepter le concept de cette créature dans le "folklore" et s'accommoder d'une narration dépouillée, quand bien même cela signifie reléguer la plupart des personnages à des fonctions et rien de plus. Encore faut-il l'habiter un minimum. Or, Dogman souffre de sa narration bancale, ponctuée d'ellipses et de facilités, et de protagonistes délestés de la moindre consistance (le géniteur aux gros yeux, le frangin dégénéré, le mafieux bling-bling, l'agent d'assurance soudainement perfide). Pire, aucun d'eux n'a le moindre impact sur l’intrigue. Untel apparait puis disparait, un autre arrive puis repart et ainsi de suite. Même l'escapade par le monde du spectacle - réussie, celle-là - ne débouche nulle part. Pour vous dire, quand le climax arrive, il vous faudra peut-être creuser votre mémoire pour comprendre ce qui se passe et pourquoi. Vous n'y êtes pour rien, ça fait juste une heure que ce segment là a été abandonné sur le bas côté. Du reste, il s'agit d'une redite franchement mollassonne et bête de Léon. On aurait pu en rire, le film faisait d'ailleurs mine de lorgner (tardivement) dans ce délire régressif en imaginant les possibilités d'un homme "connecté" à nos braves toutous. Peine perdue, on reste très en surface.
Récapitulons, le Joker bis chez 30 millions d'amis c'est pas vraiment ça. Lassie version Besson, pas tout à fait non plus. Admettons qu'on se livre à l'analyse, même en tant qu'autoportrait caché, ce serait tout de même assez embarrassant. Puisqu'en lieu et place d'un artiste rejeté tel qu'il se présente, Dogman témoigne au contraire de la tromperie de cette posture victimaire. En particulier de la part d'un réalisateur qui - outre les diverses accusations et controverses dont il fait l'objet - tourne en rond et à vide depuis plusieurs décennies.