« Gigi » est musicalement parlant le plus faible des films musicaux de Minnelli. En exceptant Maurice Chevalier dans "I Remember It Well" et l’intro et la conclusion (« Little Girls » peut faire sourciller de nos jours), il est permis de se demander quelle mouche a piqué la profession pour que parmi les 9 oscars (plus un dixième d’honneur pour Maurice Chevalier) ils attribuèrent meilleure musique de film et meilleures chansons. Visiblement Loewe avait davantage laissé son esprit dans « My Fair Lady » à Broadway, que dans « Gigi » à Hollywood. En dehors de ces réserves (de taille pour une comédie musicale) l’excellent casting est affaibli par un Louis Jourdan oscillant entre sur-jeu hystérique et absence ectoplasmique. Freed insista pour un casting français, en ce qui concerne les trois rôles principaux, Vincente Minnelli et le scénariste Alan Jay Lerner préférait Audrey Hepburn qui avait interprété le rôle titre sur les planches en 1951, de manière si triomphale, qu’elle devint immédiatement une star. Mais elle n’était pas libre et Arthur Freed qui dès le départ voulait Leslie Caron, refusa tout délai au réalisateur. Il faut bien comprendre que la MGM venait de boucler, pour la première fois depuis la guerre, une année en rouge. Malgré cela, le génial producteur accorda à son réalisateur préféré, un tournage majoritairement à Paris (ce qui lui avait refusé pour « Un américain à Paris », au grand dam de Gene Kelly). Et là, le cinéaste va s’en donner à coeur joie. Pas une affiche, pas un objet, pas un moment qui ne reconstitue pleinement la capitale de la belle époque. Cette exactitude alliée aux sites parisiens et un je ne sais quoi d’authentique dans les acteurs (les trois principaux bien surs), jusque dans les seconds rôles. Et pourtant, Le cinéaste s’éloigne du roman de Colette et efface en grande partie le côté scabreux du propos (il s’agit quand même de la prostitution d’une adolescente), abandonnant résolument le ton grave et cruel, pour dépeindre de manière presque anthropologique un monde du passé et ses codes surannés. Sans pitié il expose sa décadence, le mépris des pauvres qu’il écrase, y compris avec l’aide de leur laquais qui se prennent eux aussi pour des maîtres. Egoïstes, vaniteux, envieux et vénaux, ils ne se soucient que du paraître et du quand dira-t-on qui l’accompagne. Mais, avec légèreté et mélancolie, la vie authentique triomphera des artifices dans à la concrétisation d’un rêve d’abord inconscient, puis progressivement révélé. Le voyage à Trouville, dont le côté onirique est sous jacent, est le véritable catalyseur de l’ancrage de ce rêve dans la réalité, alors que le spectateur sait déjà ce que les personnages vont découvrir en eux. Tout cet aspect fonctionne parfaitement grâce à un immense travail du réalisateur avec la direction artistique de William A. Horning et Preston Ames, sur les décors d’Henry Grace, Keogh Gleason et sur les costumes et le design en général de Cecil Beaton. Ce qui se traduit peut être le mieux dans ce salon rouge (minnellien), refuge de Gaston, le prince charmant lassé du monde, avec Mamita, la bonne fée et Gigi, la future princesse. Tout est magnifié par le charme espiègle et mutin de Leslie Caron, pourtant de dix ans plus âgée que Gigi, qui apporte une force incroyable au personnage. La fin, idéalisée correspond bien au cinéaste et lui permet au passage d’échapper aux foudres de la censure américaine. Après « Love in the Afternoon » (Ariane) que Billy Wilder réalisa l’année précédente, l’immense succès de « Gigi » contribue également la renaissance américaine de Maurice Chevalier (dix films suivront), lavé des soupçons de collaboration pendant l’occupation. Il apporte un plus indéniable, et un charme qui lui est propre avec son légendaire « Maurice Chevalier french accent » (sans cas possessif, c’est dire !) qui éleva le divin titi parisien au rang de star à Hollywood (le seul français avec Charles Boyer).