On ne ressort pas indemne de la séance, sincèrement peiné par les récits des victimes (Miou-Miou nous a fait dégainer le mouchoir à vingt minutes du début), en compassion viscérale pour la victime violée qui se confronte à ses fantômes (Adèle Exarchopoulos dans son meilleur rôle, bouleversante), en colère devant le discours du violeur qui est dans le déni de son acte ignoble (on est à deux doigts d'arracher son fauteuil pour le balancer), en interrogation devant les autres profils de criminels (peut-on comprendre leur geste, et voir si ce cercle de parole pourra les aider). La frontalité des émotions ne nous laisse pas indifférents : à la suite de l'accès de colère du père qui a eu peur pour sa fille et refuse que cette dernière reste bafouée à vie (le procès l'a enfoncée un peu plus), un silence pesant, que tout le monde dans la salle respecte. A la suite de la flagellation de cette mamie qui se pense coupable de sa vie gâchée, un silence, cette fois-ci comblé par les reniflements mouillés des gens émus. A la suite des entrevues de la médiatrice avec la violée et le violeur, on se sent respectueux de la patience et du recul que peut avoir cette personne, devant la détresse humaine pure, et un bourreau qui se montre toujours abject après sa détention. On ne peut choisir parmi les personnages, tant leurs parcours et leurs sentiments sont différents, on ne peut non plus choisir parmi les acteurs qui sont des évidences pour leur rôle, et le confirment à chaque fois qu'on est pris par la sincérité de leur jeu. Ce qu'on remarque, c'est la finesse d'écriture, qui montre "le bâton de parole" comme une béquille qu'on fait passer par les médiateurs dans un premier temps, puis qu'on se pose sur la table à destination d'un tiers, puis qu'on se donne main dans la main, puis qu'on n'utilise plus, comme un vélo dont on retire les petites roues pour foncer. La mise en scène insiste sur cette évolution, le jeu d'acteur aussi, en donnant plus de souplesse à leurs mimiques, plus de fluidité aux récits et réponses qu'ils s'apportent les uns aux autres, et dans le cas du viol, en soulignant l'injustice d'un échec. Le film refuse la happy-end niaise, en nous donnant à suivre le dénouement [spoiler/] infect de l'entrevue entre victime et bourreau, où seule cette dernière ruine sa vie, en donnant au criminel les meilleurs jours de fréquentation des lieux communs, où elle s'interdit une certaine vie sociale (elle s'interdit les restaurants), où, finalement, on se demande pourquoi ce criminel s'oblige à revenir habiter dans le même patelin que sa victime, et lui balance cette dernière phrase qui confirme tout. Ce petit "Je ne t'en veux plus." ignoble, qui ne s'excuse en rien (on attendait plutôt un "Je suis désolé de t'en avoir voulu." pour signifier qu'il a vraiment évolué, ici, il ne fait qu'avouer qu'il ne comprend pas, il continue de nier l'immoralité de son geste). Un semi-échec dans la finalité de cette affaire (la punie est la victime, le bourreau est toujours dans le déni) qui donne tout de même la légèreté mentale à cette jeune femme d'avancer, de recommencer à vivre. [spoiler] Après ce crève-cœur "Je ne t'en veux plus", on retient surtout la phrase (étonnamment) positive (on pensait à un autre sens) qu'est "Je verrai toujours vos visages." Gilles Lellouche, Miou-Miou, Leila Bekhti, Elodie Bouchez, Dali Benssalah, Birane Ba, et surtout Adèle Exarchopoulos, c'est certain, on n'oubliera pas vos visages.