« Je veux me libérer de la meurtrissure d’être Juif. »
Poussant le réalisme jusqu’à reprendre le grain et la qualité d’interprétation d’un téléfilm diffusé sur FR3 dans les années ’70, Le Procès Goldman se regarde comme un vieil objet oublié qu’on redécouvre après une faille dans le continuum spatio-temporel : ça sent le tabac froid et la confiture de grand-mère posée sur le marbre d’un guéridon début de siècle (du siècle dernier s’entend) tandis que la petite famille regarde Au Théâtre ce Soir, sans Roger Harth et Donald Cardwell aux décors et aux costumes mais avec le format petit écran (4/3).
Surfant d’abord sur une galerie de portraits d’époque esquissés à la va-vite, quelque part entre le Musée Grévin et la Foire à la saucisse avec les sosies de quelques people en vogue (Simone Signoret, Régis Debray et le tout jeune Jean-Jacques Goldman, demi-frère du personnage principal), le film, par ailleurs réalisé en plans moyens minimalistes et sans partition musicale, même dans les génériques, déroule ainsi une reconstitution historique entachée d’éléments fictionnels avec une direction d’acteurs ahurissante de naïveté, pour ne pas dire inexistante. Peut-être est-ce d’ailleurs un choix volontaire, la mode étant au réalisme. Notons qu’Arthur Harari dans le rôle de l’avocat Georges Kiejman est exécrable, lui qui est par ailleurs le talentueux coscénariste d’Anatomie d’une Chute (Justine Triet), contre-exemple parfait en terme de film de procès.
Tout le problème de ce film, tient précisément dans son maniérisme radical qui rend ridicules les tirades théâtrales, punchlines puisées dans les écrits de Pierre Goldman, à force de vouloir rechercher la quintessence d’une époque cinquante ans plus tard. Entendons-nous, de plus en plus de réalisateurs, réalisatrices, adoptent pour leurs reconstitutions les façons de filmer de la période où se déroulent leurs histoires (pour peu qu’elles ne soient évidemment pas trop éloignées dans le temps). Encore faut-il ne pas sombrer dans l’anachronisme à force de vouloir rechercher la réalité historique à tout prix. Le mieux est hélas, ici encore, l’ennemi du bien.
Et c’est dommage. C’est dommage parce que l’idée de retranscrire une époque presque marquée du sceau du tabou (les dérives révolutionnaires des années ’70), l’envie de raconter un personnage fantasque proprement français et pourtant suspect de ne l’être pas assez, le besoin de comprendre le contexte de la marginalité politique propre à la période qui a précédé, en France du moins, l’apparition de la social-démocratie, et, surtout, la présence écrasante du racisme institutionnel, thème très actuel, tout semblait réuni pour une grande fresque historique, concentrée, coup de génie, dans un huis-clos austère où les dialogues devaient servir de fil narratif.
Une réalisation médiocre, une interprétation mauvaise, un montage raté, des dialogues artificiels, tout confère hélas à enterrer ce beau projet dans les cendres d’un cinéma sclérosé, si ce n’est un scénario intelligent, au parfum sartrien et non dénué d’humour, qui va crescendo à partir de l’heure de visionnage et sauve quelque peu l’ensemble, comme tant de pièces de théâtre filmées une fois qu’on a accepté leur immobilisme et leur amateurisme.