Cristian Mungiu n’est plus un inconnu que la croisette. Après une palme (4 mois, 3 semaines, 2 jours) et deux autres prix pour le scénario (Au-delà des collines), puis de la mise en scène (Baccalauréat), il revient avec un scanner rigoureux de la xénophobie qui règne dans un village reculé de Roumanie. S’il semble en déceler une haine, qui se cultive par la peur, il veut surtout fait le point sur la situation d’une mondialisation absurde, à l’échelle européenne. En centralisant toutes les problématiques au cœur de la campagne, il révèle ainsi les maux d’une société de non-sens, où une femme tente de raisonner le troupeau, tandis qu’un père de famille revient les mains vides vers sa famille, en proie au doute.
La qualité de l’écriture est signifiante dans un tel méli-mélo culturel et qui n’hésite pas à multiplier les enjeux, notamment autour de l’arrivée de trois travailleurs sri-lankais, chargés de préparer le pain aux locaux peu accueillants. Csilla (Judith State) tente alors de combattre cette haine et les préjugés qui en découlent, avec une confiance que les habitants mécontents auront vite fait d’ébranler. Elle est face à l’absurdité d’une communauté qui refuse d’entendre la vérité et qui prône bêtement sa suprématie, en s’insultant dans leur langue d’origine, ou en hongrois, ou encore en allemand. Le souci vient de ce déni, qui empoisonne un territoire propice au brassage multiculturel. Son usine a beau pourvoir des postes, mais certains préfèrent voir ailleurs, au-delà des frontières, car plus rien de satisfait les conditions de vie ou un quelconque aboutissement stable dans un milieu rural, où l’on meurt seul dans les bois.
Et ce ne sera pas forcément à cause des ours, l’argument convoquant un ambassadeur français d’une ONG, venu recenser les espèces en liberté. Son intrusion est sans conséquence et sa voix ne compte pas. Il reste spectateur de toutes les querelles, qui en vient à monopoliser la salle de fête du village pour mettre les choses au clair, dans un plan-séquence étouffant et rempli de contradictions. Les sermons se superposent dans ce qui leur sert de défouloir, rappelant la chasse aux sorcières. Cette scène aboutit ainsi au portrait d’un peuple qui a échoué dans sa transition économique et qui ne peut réprimer ses phobies, fatalement transmissibles. Mungiu décortique ainsi avec habilité l’angoisse du moment, à l’image de Matthias (Marin Grigore), qui cherche à rassurer son fils Rudi (Mark Blenyes), en tirant à balles réelles sur ce qui le traumatise.
Hélas, ce qui nous tétanise ne tient pas seulement de notre époque, mais provient également d’une source fantastique. Le dénouement explosif nous la rappelle frontalement, avec une ouverture incertaine et assez difficile à cerner. Il faut une « R.M.N. » pour alors passer au crible cette détresse, qui transforme dangereusement le paysage hivernal en un tombeau collectif. Ici, tout le monde s’écroule, personne ne s’écoute. Le cinéaste invertit chaque débat avec sa caméra qui ne juge personne. Il se contente d’observer la faillite et la perte d’identité d’une nation qui demande une émancipation impossible.