Cristian Mungiu aime bien la jouer franc jeu d'entrée de jeu. Pas la première séquence, plutôt énigmatique quoique hautement symbolique. Le titre. Il prend toujours la forme d'un coup de poing à l'estomac, de ceux qui vous remuent longtemps après l'impact. 4 mois, 3 semaines, 2 jours renvoyait à une sorte compte à rebours pour faire valoir son droit à avorter dans un pays où on veut l'interdire. R.M.N est à prendre dans un sens plus métaphorique, attendu que la spectrographie RMN est un dérivé de l'IRM, à savoir un scanner permettant de révéler organes, muscles et tissus pour y déceler d'éventuelles anomalies. À partir de là, tout devient limpide. Mungiu va sonder le corps social d'un petit village transylvanien, caractérisé par une population multiethnique et précaire.
L'aspect rédhibitoire que peut engendrer un tel résumé est compréhensible. Et pour tout dire, la première heure du film n'est pas la plus adroite. Les principaux éléments sont certes disposés sans trop attendre, on peut par contre se demander s'il fallait une heure pour les amener à un tournant dramatique. Ce que la structure va confirmer avec une narration chorale un peu chaotique. Une fois que les fauves sont lâchés, R.M.N sort des fourrés et procède à un carnage. Si je peux concevoir qu'un spectateur lambda n'a pas envie d'affronter une œuvre politique aussi frontale et féroce, Mungiu le fait avec une telle force qu'il est très difficile de ne pas y voir une portée universelle. Donc nécessaire. Son morceau de bravoure est un débat en un seul long-plan de 15 minutes. Et c'est fascinant, parce que tout est dit là. L'hypocrisie d'une nation cosmopolite pourtant unie contre les "autres", la xénophobie ordinaire comme seule réponse à un problème social, le besoin naturel de trouver un bouc émissaire pour se rassurer (en vain),...Ça vous parle ?
Voir la chose abordée de manière aussi naturaliste a le mérite de remettre les pendules à l'heure. Une froideur partagée majoritairement par la sècheresse du ton (très peu de musique) ou sa photographie blafarde, uniquement contrebalancée le temps d'un repas où la musique rapproche les gens. Dans ses moments, Mungiu n'a plus qu'à laisser l'humanité rentrer par le biais de ses interprètes (Judith State, magnifique). C'est beau et ça fait mal. Nombre essayent, peu y arrivent et ce long-métrage roumain se glissent parmi les heureux vainqueurs. Quand bien même la victoire artistique s'accompagne d'une tristesse à voir un tel film passer sous les radars d'une partie du public, parmi lequel trouve t-on des individus toujours prompts à se moquer des œuvres étrangères en raillant leur manque d'intérêt ou de vision sans même avoir pris le temps de les regarder. Le diagnostic est préoccupant, mais après tout ne dit-on pas que le temps fait son œuvre ? Partant de là, l'existence même de R.M.N pourrait être le symptôme d'un espoir.