Présenté comme un polar, on se rend bien vite compte que « Un Homme en Fuite » réalisé par Baptiste Debraux est plus proche du drame social que du polar conventionnel. Il choisit d’ancrer son récit dans une petite ville des Ardennes, en hiver (c’est mieux pour l’ambiance déprimante), une petite ville en ébullition sociale. Car c’est de cela qu’il s’agit : Rochebrune est une petite ville industrielle qui va mourir : les maisons sont abandonnées, l’usine va fermer, les gens vont partir, une main devant et une main derrière comme on dit, et cela semble inéluctable. Il y a quelque chose d’assez déprimant d’emblée dans le film de Baptiste Debraux, une impression de combat déjà perdu, de colère vaine, dans une France de province désindustrialisée. Son long-métrage, qui dure presque deux heures, est accompagné par une bande originale de grande qualité signée en partie du groupe Feu ! Chatterton. Les scènes au présent alternent avec un grand nombre de flash back qui sont là pour développer l’histoire d’amitié improbable entre Johnny et Paul. Car au-delà du polar, au delà du film social, c’est aussi et même surtout une histoire d’amitié que raconte Baptiste Bebraux. « Un Homme en Fuite » est un film esthétiquement assez soigné : jolis plans, transitions bien amenées, musique très sympathique. Ou pourra juste trouver que le film est construit sur une forme de faux rythme (à cause des flashs back, mais pas seulement) qui peut, peut-être, perdre quelques spectateur en route. Au casting, c’est avec plaisir qu’on retrouve Bastien Bouillon et Pierre Lottin, qui s’étaient déjà côtoyé dans « La Nuit du 12 ». Bastien Bouillon confirme tout le bien que l’on pense de lui, il n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour faire passer une émotion. Et puis Pierre Lottin trouve enfin un vrai rôle de premier plan et c’est un rôle assez complexe. A moitié petite frappe, à moitié activiste, il émeut, effraie, déplait, et charme, tout à la fois ! Il n’hésite pas à flirter avec les limites pour la cause, comme dévaliser un supermarché pour redonner les denrées aux grévistes privés de salaire, une sorte de Robin des Bois qui aurait été trop loin en tuant un homme. Plus on avance dans le film et dans son histoire, plus on a l’impression que cela devait finir par arriver. Malgré ce crime, il reste un héros local, et est sur le point de devenir un mythe depuis qu’il s’est évaporé. Et puis, côté gendarmerie, il y a Léa Drucker, toujours parfaire, et Théo Navarro-Mussi, un habitué des seconds rôles qui j’espère, aura lui aussi un jour la chance d’en avoir un premier. Le scénario du film tourne autour d’une chasse à l’homme, comme je l’ai dit, mais c’est presque secondaire. Ce qui importe, c’est l’histoire d’amitié entre Johnny, la petite frappe toujours à la limite de la délinquance, et Paul, le fils du contremaitre de la fonderie. Ils n’ont rien en commun, l’un est parti, est devenu écrivain, l’autre est resté, est devenu ce qu’il a pu. Ils n’auraient jamais du être amis et pourtant, ils l’ont été et au fond, le sont encore. C’est un roman qui a scellé leur amitié « L’Ile aux Trésor » de Stevenson, et ce qui était un jeu d’enfant est devenu le refuge de deux adultes un peu perdus, chacun à leur façon. C’est une histoire d’amitié très profonde et très touchante, une histoire avec des hauts, des bas, des petites trahisons et des grandes promesses. Le contexte est aussi important, au-delà du polar, c’est une petite ville en crise. Rochebrune est le symbole de cette France qui brûle, la France qui décrit Nicolas Matthieu dans ses romans, celle de la diagonale du vide, celle des friches industrielles, celle refuse de mourir « dans le feutré ». Cette France là, cette France « à cran », très en colère, on en parle souvent dans les médias mais le cinéma français n’y plante que rarement ses caméras. Ici, le film sent la poudre presque au sens premier du terme. On sait très vite comment cela va finir, parce que cela finit toujours comme cela :
avec les CRS
. Sans être un film inoubliable, « Un Homme en Fuite » est un bon film, solide sur ses bases. Il met en scène une belle amitié, qui résiste aux années, aux différences et à l’éloignement, et cela peut parler au cœur de beaucoup de spectateurs. Ill met aussi en scène une misère sociale qui, elle aussi, parlera à beaucoup.