Pour son premier long-métrage, le cinéaste irlandais Colm Bairéad a eu une façon singulière et remarquable de rechercher l’inspiration. Très attaché à son pays, à sa culture profonde, au point d’avoir choisi de tourner précédemment ses courts-métrages en langue gaélique, à une époque où ce choix était plus rare qu’aujourd’hui, il pioche dans une liste publiée par The Irish Times des plus grandes œuvres littéraires d’autrices irlandaises pour découvrir le texte de Claire Keegan, une nouvelle (publiée en France sous le titre Les Trois Lumières) qu’il décide de développer pour en faire son premier long.
L’homme qui se dit inspiré par Kelly Reichardt, Lynne Ramsay, Andrea Arnold et Céline Sciamma crée un univers qui emprunte en effet à toutes ces réalisatrices. À la fois dans la figure d’une gamine esseulée, venue d’un milieu précaire, dans la constitution d’une famille complexe où les enfants manquent d’amour, dans la grande finesse de l’approche de son personnage principal, dans son rapport avec la nature et dans sa façon de filmer à hauteur d’enfant.
Il en résulte une œuvre d’une immense sensibilité, qui prend le temps de faire évoluer son personnage à travers son changement d’environnement, de manière extrêmement progressive en s’appuyant sur des petits détails. L’affection, ou son manque, ne sont pas des choses qui s’expriment par de grandes déclarations, ni par des violences ni par des élans intimes. Les sentiments tout en retenue, pleins de pudeur et de dignité, transparaissent à travers de petits mots, les surnoms affectueux que la cousine (Carrie Crowley) emploie d’emblée pour mettre en confiance la nouvelle arrivée, les gestes de gentillesse subrepticement effectués par le cousin par alliance (Andrew Bennett).
L’extrême délicatesse de ce cinéma doit aussi beaucoup au choix de sa jeune interprète, la révélation Catherine Clinch, onze ans au moment du tournage. Pour sa première apparition à l’écran, la fillette s’inscrit, à l’image de Frankie Corio dans Aftersun, dans la lignée des visages qu’on n’oubliera pas. Mi-sauvageonne toujours pleine de terre à force de réfugier sa solitude dans les bras d’une mère nature accueillante, mi-poupée de porcelaine sage et silencieuse dans sa robe de petite fille modèle, sa discrétion n’est jamais un désintérêt pour ce qui l’entoure, mais plutôt le fruit d’une nature observatrice et compréhensive.