Projet tenant fermement à cœur de Martin Scorsese, 30 ans d’élaboration selon les dires du cinéaste, Silence marque le retour de ce grand nom du cinéma quatre ans après le vitaminé Le Loup de Wall Street. Changement de contexte, pour le moins, changement de ton, radical basculement de l’euphorie à la contemplation, le cinéaste italo-américain en revient à sa foi chrétienne, une foi qu’il aime à disséquer, à remette ici respectueusement en question tout en la légitimant, à sa manière. Adaptant un bouquin datant de 1966, le communément appelé Marty nous narre l’histoire de deux prêtres jésuites portugais s’enfonçant dans le Japon du XVIIème siècle en vue de remettre la main sur l’un de leurs prédécesseurs porté disparu. Oui mais voilà, la religion chrétienne n’est pas la bienvenue au Pays du Soleil Levant. Les pratiquants sont persécutés, massacrés, les prêtres occidentaux sont traqués. Bouddhisme et christianisme ne font pas bon ménage en ces temps médiévaux pour le moins radicaux. La foi de l’homme peut-elle résister à la souffrance, au bannissement? La religion européenne peut-elle prendre racine dans ce marécage obscure du bon du monde?
Par l’entreprise de deux jeunes missionnaires convaincus, assidus à la tâche, optimistes, le metteur en scène confronte littéralement deux cultures. Artistiquement remarquable, Silence se veut un film philosophique, contemplatif et réflexif. Dieu demeure donc dans le cœur des hommes, qu’importe la doctrine imposée, qu’importe les sacrifices. Globalement, le film nous adresse un message chaleureux, valeureux, qu’importe nos idéaux sur la question. Il n’en demeure pas moins qu’en dépit d’une mise en scène léchée, d’une multiplication de plans de toute beauté, de prestations d’acteurs excellentes, que Silence peine à émouvoir dans son déroulement. Il ne s’agit somme toute que d’idéaux et lorsque aucun des personnages de ne consent à dénigrer les siens, les choses semblent inévitablement tournés en rond. Les conservateurs japonais multiplient les persécutions, les exécutions, se démènent afin d’être inventifs dans leurs modes de tortures mais le postulat demeure le même durant 80% du film. Au petit jeu de l’esprit, quelqu’un finira par céder et l’on se doute très vite, historiquement, que ce ne sera pas les japonais.
Andrew Garfield, déjà vu chez Mel Gibson cette même année 2016, livre une très belle prestation dans la peau de ce missionnaire au grand cœur, un cœur soumis à l’épreuve, pour le moins. Il sera question, en définitive, de croyances intérieures alors que le dogme ne peut être enseigné. Contraint, forcé, l’homme n’en perd pas pour autant ses croyances. On pourra retenir ce message d’un film qui voudrait d’avantage nous éblouir, nous mystifier, en nous servant sans cesse des confrontations finissant dans une forme de violence toujours plus cruelle. Oui, si Martin Scorsese n’est jamais réticent pour une exposition à la violence pour illustrer ses propos, qu’elle soit verbale ou physique, la cruauté des inquisiteurs permet au moins ici de faire bouger un long-métrage par moments très stoïque. On alterne donc entre grand discours, contemplation et violence crue, mécaniquement. C’est sans doute là la faiblesse d’un film qui peine à se renouveler deux heures et demies durant.
Mais n’enlevons rien au mérite du réalisateur qui s’en retourne en Asie, qui s’en retourne vers sa foi pour nous livrer un projet audacieux et sur le papier, initialement, qui ne devait pas être facile à vendre. Son nom prestigieux aidant, Martin Scorsese sera donc parvenu après des années de persistance, à réaliser un projet auquel il était grandement attaché. Tous les grands metteurs en scène n’y sont pas parvenus. C’est sans doute là la marque d’un génie. Oui, que l’on apprécie Silence ou non, avouons que Scorsese sait passer du coq à l’âne sans trébucher, qu’il excelle dans un domaine comme dans un autre sans trembler. Reste à adhérer au propos, mais cela ne diminue en rien la portée de Silence, un travail de réalisateur convaincu tout à fait respectable. 14/20