Aucune lumière, aucun ciel clair dans ce film, une atmosphère sinistre de roches grises, de boues, de marécages... Le silence commence là, dans cette nature hostile où l'homme tente de survivre dans des cabanes fragiles. Le silence devient assourdissant quand les hommes et les femmes sont torturés pour leur foi. Pour les croyants la grande interrogation est là. Devant le mal et la souffrance, comment peut-on croire en Dieu ? La force du film de Scorcese est de poser toutes les questions essentielles sur les rapports de l'homme et de la religion. Comment peut-on penser que l'on détient la vérité, la seule, au point de vouloir l'imposer à des pays qui possèdent la leur depuis des millénaires. Les Jésuites portugais arrivent pleins de cette certitude, avec le désir aussi de retrouver leur maître, Ferreira, celui qui consolida leur foi et qui aurait apostasié. Ils assistent à ¨la mort de nombreux convertis. Certains les remplissent d'admiration tant est forte leur résistance et leur refus de marcher sur l'image de leur dieu, ce qui les aurait sauvés. C'est un premier thème du film. La foi fait partie de l'identité de celui qui l'a choisie. Vouloir le contraindre à la renier, c'est en quelque sorte nier son identité. C'est ce que fait l'inquisiteur japonais, au nom d'une autre identité, celle du Japon séculaire et de ses valeurs, incompatibles avec le christianisme. Dans ce premier thème, il y a aussi, en creux, son côté crépusculaire: si au nom d'une foi qui nous habite si totalement, on est capable de mourir en martyr, cette même foi peut nous pousser à faire mourir les autres pour la leur imposer, puisqu'elle est la seule vérité. Les Chrétiens japonais sont les victimes comme les Chrétiens de l'inquisition espagnole étaient les bourreaux.
L'autre thème est celui de la tolérance, de la compréhension de l'autre. Le père Rodrigues admet peu à peu que la vie mérite qu'on renonce à ses certitudes, à sa foi, du moins en apparence, qu'on accepte la loi du plus fort afin de rester vivant. L'apostasie n'est rien d'autre que cela. Je renie en public mon Dieu mais ça ne m'empêche pas de le garder en moi malgré ma trahison. Un personnage du film le dit et redit par ses actes. Kichijiro ne cesse de trahir et de revenir demander pardon. Il fait penser à Judas, d'autant plus qu'il reçoit des pièces pour salaire de sa trahison. Mais la grande différence avec Judas est que ce dernier après avoir trahi va se pendre. Il ne croit pas que le pardon soit possible après un tel acte. Kichijiro le croit et il multiplie trahisons et repentances. Le père Rodrigues malgré ses réticences lui donne l'absolution.
Son exemple finira par faire réfléchir le père Rodrigues qui pour sauver des villageois, accepte de marcher sur l'image de son Dieu. C'est un des moments les plus intenses du film, celui où le père Rodrigues hésite, avance, se reprend. Le combat intérieur terrible se ressent dans tout son corps. Il finit par apostasier, par ressembler à son maître Ferreira qu'il a retrouvé. Ce dernier est marié, il a des enfants, il parle japonais et il est respecté comme un sage. C'est lui qui a été "converti" et se trouve à l'aise dans une culture et une spiritualité qui n'étaient pas les siennes. Rodrigues suit son exemple. Il a apparemment renoncé à ses certitudes pour continuer à vivre. Il se marie lui aussi et régulièrement il est obligé de renouveler son apostasie devant un Inquisiteur qui reste méfiant.
Quand il meurt, une cérémonie bouddhiste est organisée avant la crémation. Sa femme selon le rituel lui met entre les mains un parchemin. Le dernier plan du film nous montre entre les mains du mort, une petite croix, celle que sa femme a glissée avec le parchemin. Ainsi, malgré les apparences le père Rodrigues aura gardé la foi, malgré toutes ses trahisons, tous ses compromis.
Les images du film sont impressionnantes et font penser à certains films de Kurosawa, mais le sens profond, complexe est une réflexion sur la foi et son rapport avec la société.
Silence résonne en nous longtemps après l'avoir vu. Et revu.