Ce Silence, c'est le silence de Dieu. Pour ceux que l'idée de voir un film de presque trois heures sur le silence de Dieu effrayerait..... on peut rappeler que Martin Scorsese est aussi un formidable narrateur d'histoires, et qu'il peuvent aborder l'oeuvre par sa face "film d'aventures historiques". Car oui, Cristovão Ferreira, le prêtre-apostat a bel et bien existé!
Un peu moins d'un siècle après l'espagnol Saint François-Xavier, qui avait ouvert la voie du christianisme en Inde, en Chine puis au Japon, Ferreira arrive dans la région de Nagasaki. Au début, les évangélisateurs ont été bien reçus, sauf par les moines bouddhistes évidemment! Des petites communautés chrétiennes se sont créées. Mais à vrai dire, quelle folie que de vouloir implanter une nouvelle religion dans un pays où l'empereur est un "dieu vivant", descendant du premier empereur Jinmu, lui même descendant d'Amaterasu, déesse du soleil, et comme tel, grand prêtre du shintoïsme. On voit donc mal comment un autre Dieu aurait pu s'implanter de façon pérenne. Malgré tout, une partie de la population avait été convertie.
Le jésuite Ferreira arrive pendant le shogunat Tokugawa. Pendant les périodes de shogunat, l'empereur n'a plus qu'un rôle symbolique; c'est le shogun qui gouverne, entouré de ses samouraïs. Et le pouvoir a décidé de se débarrasser des chrétiens (il y a d'ailleurs une fermeture généralisée des influences étrangères) Par l'intimidation et la violence. Oh, les Japonais étaient très fort en matière de supplices....chinois: bûchers, crucifixions, noyades, sans oublier le supplice de la fosse où les torturés, saucissonnés, étaient suspendus par les pieds au dessus d'une fosse où leur sang s'écoulait goutte à goutte d'une petite incision faite sur la tempe... Pour y échapper, il suffisait d'une toute petite chose: apostasier, et pour témoigner de sa bonne fois, marcher sur une effigie du Christ posée à terre... Naturellement, un prêtre était une proie de choix..... Ferreira a t-il eu peur de la torture? A t-il voulu protéger les communautés? Le fait est qu'après avoir apostasié, il se renomma Sawano Chuan, épousa une japonaise, jugea d'autres jésuites et écrivit un livre La supercherie dévoilée où il dénonce la religion catholique... Il devint en quelque sorte la vedette des prêtres-apostats.
Quand le film de Scorsese commence, deux jeunes jésuites portuguais, Sebastião Rodrigues (Andrew Garfield) et Francisco Garupe (Adam Driver) brûlent d'impatience de partir pour le Japon. Ils sont sûrs que ce que l'on raconte au sujet de Ferreira n'est que mensonge; ils veulent rencontrer le jésuite, rétablir la vérité. Devant leur insistance, leur supérieur (Ciaran Hinds) finit par céder.
Pour accéder aux communautés chrétiennes, ce qu'il en reste, qui vivent cachées dans des petites îles de pêcheurs, les deux jeunes gens ne trouvent qu'un guide, Kichijiro (Yôsuke Kubozuka). Une épave, un ivrogne qui se défend furieusement d'avoir été converti. C'est un personnage totalement kurosawaien (si on peut formuler ce terme), à la fois dans son aspect -maigre et agile comme Gollum sous sa chevelure hirsute- et son comportement. D'ailleurs, dans la photographie, dans le comportement des personnages japonais, Kurozawa est là: Scorsese a dû beaucoup le visionner pour recréer une ambiance, un climat aussi juste.... Il y a tant de brume d'ailleurs, tant de boue que l'image semble parfois en noir et blanc. C'est le Japon où la pluie tombe sans relâche, les paysans se protégeant d'un manteau de bambous, où l'on enfonce jusqu'aux chevilles dans la glaise....
Les deux jeunes gens sont assez différents du point de vue du caractère, l'un plus craintif, l'autre plus déterminé. Garupe va rester auprès des petites communautés iliennes qui se sont regroupés autour d'un vieux sage, Ichizo (Yoshi Oida); ils ont une foi exubérante, non dénuée de superstition...
En tentant de retrouver Ferreira, Rodrigues est capturé. Et soumis au même régime que Ferreira, des années plus tôt: "tu vois ces jeunes chrétiens qui vont mourir? Eh bien, il suffit que tu apostasies, et ils seront libérés." Où est le bien, où est le mal? Doit il, avant tout, préserver la présence de l'église en refusant? Ou sauver ces innocents qui pourront continuer à pratiquer dans leur coin leur religion baroque? Le vrai chrétien ne doit il pas prendre le péché sur lui, apostasier -risquer l'enfer- pour sauver les autres âmes? Porté par une foi profonde, qui n'admet aucun doute, mais en même temps dans une solitude intellectuelle totale, Rodrigues n'entend que le silence de Dieu....
Rodrigues est interrogé tantôt par un interprète (Tadanobu Asano, qu'on a vu dans Vers l'autre rive, mais était surtout, l'extraordinaire Yasaka, dans Harmonium...), tantôt directement par le terrible gouverneur /grand inquisiteur Inoue (Issei Ogata, kurozawaien à souhait...). Inoue dit des choses bien intéressantes, ou plus exactement, Scorsese nous dit des choses bien intéressantes par la bouche d'Inoue "Chaque religion est bonne pour un pays. Pour nous c'est le bouddhisme. Crois tu que tes villageois soient des vrais catholiques?". On le sait bien; pour s'implanter en Afrique comme en Amérique du Sud, l'église a du fermer les yeux sur l'intégration dans le culte de pratiques traditionnelles; quand on vit dans la nature, savane ou forêt primaire, c'est tout naturel d'être animiste. Et sans aller aussi loin, nombre de saints bretons sont des récupérations d'anciens esprits des légendes celtes. Inoue dit aussi "le bouddhisme et ton catholicisme prêchent là même chose: la compassion. Pourquoi ne deviens tu pas bouddhique?". Là aussi, derrière Inoué, on entend Scorsese.....
Enfin, il faut revenir sur ce personnage absolument extraordinaire qu'est Kichijiro. Il a la foi: mais il a peur. Il le dit d'ailleurs dans ses confessions "Pourquoi suis je si faible? Ce n'est pas de ma faute!". Comme l'apôtre Pierre, il trahit trois fois. Finalement, c'est même le rôle de Judas qu'il va jouer, mais à chaque fois, il retourne vers Rodrigues, lui demandant de l'entendre en confession, d'écouter ses pêchés, de lui donner l'absolution. A chaque fois, Rodrigues l'accueille parce que comme prêtre il ne peut refuser d'entendre en confession une âme repentante....
Ferreira, que l'on découvre à la fin, et qui reste totalement opaque, une énigme, c'est l'excellent Liam Neeson. Excellents ils le sont tous d'ailleurs, même si parfois, on se dit qu'on aurait aimé un acteur un peu plus dense qu'Andrew Garfield.
Un chef d'oeuvre -évidemment-, à voir pour réfléchir quand on a le sens de la transcendance mais aussi un film humainement passionnant, somptueusement filmé, qu'on peut donc recevoir à deux niveaux de lecture.