Après avoir exploré le monde de la médecine sous toutes ses formes avec « Hippocrate » (au cinéma et en série), « Médecin de Campagne » et « Première Année », Thomas Lilti se penche sur le monde de l’éducation, un autre « chef d’œuvre en péril » du service public. Et il le fait en l’abordant exactement de la même manière : en plongeant un néophyte dans un petit monde particulier dont il va devoir apprendre les codes, parfois avec enthousiasme, parfois dans la douleur. Son film est, comme les précédents, un petit bijou de cinéma vérité. « Un Métier Sérieux » navigue en permanence entre le sourire et le drame, aborde mine de rien pas mal de sujets sensibles. Pas tous, il nous épargne par exemple un débat stérile sur les signes religieux et autre foulards et longueurs des jupes et franchement : MERCI ! On ne rit pas mais on sourit souvent, on ne pleure pas mais on a le cœur serré, on n’est pas bouleversé mais on est ému, le film joue en permanence sur la nuance et en évitant les poncifs et autres raccourcis comme on évite des chicanes sur un circuit. 1h40 d’une immersion en collège qui passe tout seul. On verra certains profs en cours, en inspection, dans leur vie personnelle, Le film n’est pas ultra centré sur le personnage de Benjamin. On peut parler je pense de film choral au casting éprouvé, avec des seconds rôles qui n’en sont pas, qui sont bien davantage que des seconds rôles. L’habillage musical est sympathique (mais attention, sur certaines scènes le son est trop fort en couvrent les dialogues, c’est dommage), le film est rythmé : on fait des sauts de puces dans le temps, des sauts de puces entres les différents profs, entre le collège et la maison. Calé sur une année scolaire, « Un Métier Sérieux » est un film très académique (sans jeu de mot) dans sa réalisation mais ultra efficace. Thomas Lilti est un réalisateur de cinéma-vérité, pas un explorateur ou un virtuose de la caméra, ce qu’il propose est propre, modeste mais parfaitement bien fait. Il a offert à quelques uns de ses acteurs fétiches un rôle dans le film, ce qui confère encore un peu plus à son casting un petit air de tribu : Vincent Lacoste et William Lebghil (dans le film « Hippocrate » et ensemble dans « Première Année », Louise Bourgoin, Bouli Laners et Théo Navarro-Mussy (dans la série « Hippocrate ») ou encore François Cluzet (« Médecin de Campagne »). Une petite nouvelle, c’est Adèle Exarcopoulos dans le rôle d’une professeur-cool. Tous campent des professeurs imparfaits
qui soit sont défaillants dans leur vie professionnelle (Benjamin débute, Pierre ennui ses élèves, Sandrine a des gros soucis de discipline), soit sont défaillant dans leur vie personnelle, soit les deux comme pour la pauvre Sandrine (mention spéciale pour le pétage de plomb à la fin du film, très réussi). Et là, scoop : les gens qui instruisent les enfants des autres galèrent avec les leurs : garde partagée qui se passe mal, séparation, adolescents ingérables, etc
… Aucun d’entre eux n’est parfaitement heureux et épanoui au dehors, tous à des degrés divers sont en train de rater quelque chose dans leur vie personnelle. De là à dire que leur métier en est la cause, il y a un pas que Lilti ne franchis pas. Je n’ai rien à redire ni sur la composition de casting, ni sur son implication, ni sur la construction des personnages. Je regrette juste peut-être que certains soient moins écrits que d’autres : la jeune Sophie par exemple, avec son bébé à la maison, ou Fouad, qui cache sous son humour potache une fragilité que l’on ne fait que deviner, et les profs de sports, dernières roues du carrosse ! En revanche, le personnage de Sandrine incarné par Louise Bourgoin est tragique et c’est probablement avec elle qu’on a le plus d’empathie. Le scénario essaie d’évoquer un peu tous les aspects du métier : la discipline, l’échec scolaire
(l’histoire du jeune Enzo pose un regard sans concession sur le fonctionnement des conseils de discipline et le débat entre prof qui le précède est emblématique de l’impasse de l’Education nationale sur le sujet),
la dépression des professeurs, la déconsidération du métier (la rencontre parents-profs), les problèmes avec la hiérarchie, etc… Comme je l’ai dit, la laïcité et le harcèlement scolaire sont absents du tableau. Pour la laïcité, c’est tant mieux (ça va, on en soupe assez comme çà !) et pour le harcèlement scolaire, c’est un tout petit peu dommage. Thomas Lilti a peut-être pensé que ce sujet méritait mieux qu’une scène ou deux, qu’il pourrait faire l’objet d’un film entier, je ne sais pas… Mais je persiste à trouver ça dommage même si je comprends que le but du film n’est pas d’être exhaustif. Je ne sais pas si « Un Métier Sérieux » est proche d’une certaine réalité de terrain, il faudrait demander à des enseignants. Mais en tous cas, en tant que citoyenne et amatrice de cinéma, j’ai aimé ce film comme j’ai aimé tous ses précédents films. Petit à petit, avec son style bien à lui, Thomas Lilti creuse intelligemment son sillon dans la fiction française.