L'Histoire voudra que ce film, qui a été le dernier de deux de ses interprètes de légende, et l'un des derniers d'un autre, ne devienne que plus crépusculaire. Mais ramener "The misfits" à ce simple état de fait, aussi triste soit-il, est assez primaire. Car il s'agit là tout d'abord d'une peinture acide, mais lucide des Etats-Unis, où tout va trop vite, où l'on se perd, où les hommes, désireux de liberté et d'apaisement, voient leurs ambitions les plus fermes s'effondrer. Ce constat, pour les désaxés, ces hommes qui essaient de vivre en autarcie du système montant, ne sera que plus dur. L'époque des cow-boys et des rodéos est fini, et leur idéal devient poussière: le personnage de Clark Gable cherche à retrouver ses enfants, mais ils sont déjà loins. Celui de Montgomery Clift veut le pardon et la reconnaissance de sa mère, mais c'est un asocial. Celui d'Eli Wallach enfin a perdu sa femme qu'il aimait du plus profond de son être. Mais au final, c'est lui qu'il pleure et pas elle, ni les morts qu'il a engendrées. Déstabilisés par la simplicité et la tendresse du personnage de Marilyn Monroe (dans un très grand rôle), ces trois hommes se rendent compte, dans la sécheresse des paysages de la Californie, qu'ils ne sont que des âmes malades, perdues dans un monde qui n'est plus le leur: les chevaux qu'ils chassent ne sont plus bons qu'à alimenter les chiens. Le scénario d'Arthur Miller est brillant, à l'écart de toute caricature, en plein dans le juste, ni optimiste ni totalement pessimiste, simplement clairvoyant, mais jamais austère pour autant. Et le plus fort dans tout ça, c'est qu'il l'a écrit pour sa femme, Marilyn Monroe, figure éternelle du glamour et de l'instable, alors qu'ils divorçaient. C'est un très grand film que signe là un John Huston inspiré, et la modernité de sa mise en scène ne fait que raviver la puissance qui en émane
. Ça fait froid dans le dos.