La réalisatrice Sylvie Gautier nous propose avec « Brillantes » une plongée dans le monde de la grande précarité, de la pénibilité du travail et de la désespérance sociale. C’est peu dire que son film tombe à pic ! En campant son long métrage en pleine crise des gilets jaunes (on en voit souvent à la TV, en arrière plan, ici ou là), elle cherche à donner un visage à ce mouvement très hétérogène, ce sera celui des femmes de ménages. Son film est honnêtement réalisé, si on passe volontiers sur quelques scènes un peu trop longues, certaines scènes un peu trop exaltées (comme la dispute mère-fils où ça hurle tellement que ça finit par sonner faux). Film pas trop long, qui se construit sous la forme bien connue de la spirale infernale, qui captive le spectateur assez vite et qui se laisse suivre sans déplaisir, même si plus on avance dans l’intrigue, plus le poids du secret de Karine devient lourd et pesant, au point qu’on finit par ne plus comprendre pourquoi elle ne s’en déleste pas une bonne fois pour toute. Le secret de Karine est certes difficile à avouer, mais elle est entourée d’amies qui pourraient le comprendre et l’accepter
(la preuve c’est que quand ça arrive, elles ne lui tournent pas le dos),
on a l’impression qu’elle est la seule à ne pas comprendre que ses amies seraient toujours ses amies si elles savaient ! Ce secret, cet abcès qu’elle refuse de crever,
c’est que Karine ne sait ni lire ni écrire, qu’elle a déployé des stratagèmes dans tous les sens pour palier à toutes les éventualités, aidée par son fils qui est le seul dans la confidence. Incapable de passer son permis de conduire, de lire un bail, de faire ses courses seules, de lire un contrat de travail ou un constat d’accident, elle est prisonnière de cet état
. Le jour où sa supérieure perce ce secret et décide de s’en servir contre elle et ses collègues, elle n’a pas les armes pour lutter et se retrouve de plus en plus seule, fragile et tiraillée. Les mensonges s’enchainent, le peu d’amour propre qui lui restait s’envole, elle renonce aux avances pourtant charmante d’un poissonnier amoureux, on a même peur au bout d’un moment qu’elle veuille en finir. Ce film ne traite pas de femmes de ménage ou des gilets jaunes,
ce film est un film sur l’illettrisme. Rien que pour avoir mis la lumière sur ce problème tabou, il a sa raison d’être.
Après, ça fait plaisir de voir le cinéma français se pencher un peu sur le sort des gens en vraie galère, ça change des problèmes existentiels des habitants des quartiers haussmanniens ! Le petit souci, c’est que « Brillantes » ne fait pas dans la dentelle : le nouveau patron est une vraie caricature de patron, non seulement il est insensible au problème de Karine (ce qui à la limite peut s’entendre), mais en plus il s’en sert, il la manipule et l’humilie : il ne manque que le harcèlement sexuel pour compléter le tableau. Sans être naïve, j’aurais aimé un peu plus de nuance sur ces « petits chefs ». Le fils de Karine,
qui fait tout à sa place, la maintient dans cet état d’illettrisme au lieu de la pousser à en sortir. C’est finalement ce qui me perturbe le plus dans ce scénario : qu'ils soient armés de bonnes ou de mauvaises intentions, pas un de lui propose de l’aider à réapprendre à lire et à écrire, comme si le scénario considérait qu’elle souffre d’un handicap définitif.
Mais il n’y a rien de définitif ou de fatal à l’illettrisme !
Il faut tout le talent de Céline Sallette pour incarner une Karine qui ne soit pas une caricature. On devine son passé très difficile, au travers de quelques phrases, elle fait parfois presque pitié tout en faisant des efforts surhumains pour rester digne. C’est un rôle difficile et bien tenu. Autour d’elle, Souad Amidou, Julie Ferrier, Bruno Salomone, Thomas Giorgia ou Eye Haïdara ont la chance d’avoir des vrais rôles écrits, des vrais personnages à défendre. Parmi eux il y a Camille Lellouche, qui incarne l’écervelée Adèle. Je ne sais pas trop quoi penser de sa composition, surtout dans la scène où elle est ivre et qui ne m’a du tout convaincue, sans que je sache si c’est parce qu’elle est mal dirigée ou juste à coté de la plaque. « Brillantes » a le mérite de traiter un problème très peu montré par le cinéma et de mettre en lumière une certaine conception des gilets jaunes (à prendre avec précaution). Le film essaie de le faire avec humanité, c’est parfois maladroit, c’est parfois un peu naïf et caricatural, mais ça reste dans l’ensemble un propos pertinent.