Orson Welles en 1958 laissa à la main des Studios Universal le montage final de son film. Il le désapprouva toute son existence et rédigea même un mémoire de 58 pages décrivant au plus près son désir initial. Il fallut attendre 1973 pour que son souhait soit exaucé… et c’est cette version que je viens de visionner.
« La soif du mal » ou plutôt « A touch of evil », plus proche de l’atmosphère du film, est l’histoire d’un flic mexicain en voyage de noce à la frontière américano mexicaine qui va vouloir assister la police américaine dans l’enquête d’une histoire de meurtre dont il a été témoin. Mais le flic américain en charge de l’affaire est véreux et corrompu. Le sujet central du film est donc un choc frontal entre deux flics et deux visions du métier (intuition / enquête fouillée) que tout oppose. Le lieu même de l’action est fortement symbolique ; une frontière… elle-même à l’image du bien et du mal, de la vie et de la mort, de l’intégrité et de la roublardise. Ensuite, Welles, et c’est pour moi la faiblesse du film, nous noie sous un torrent de sous-intrigues satellites qui se multiplient et s’embrouillent : l’affaire de l’explosion de la voiture, le procès sur lequel travaille Vargas, les voyous traquant la femme de Vargas, la mort de la femme de Hank,… Tout cela participe à créer une confusion bien contreproductive. Une médiocrité scénaristique bien regrettable.
D’autant plus, que Welles démontre une maestria rarement égalée de la mise en scène, pour l’époque. Le plan séquence de la scène d’ouverture est un des plus virtuose jamais vu. Sa caméra perchée en haut d’une grue donne le vertige, et la minutie de son plan donne plus que le ton, il inscrit le film dans sa dimension dramatique et tendue dès les premières minutes. Il nécessita 10 jours de tournage à Orson Welles. Le génie de Welles ne s’arrête pas là : un travail autour du noir et blanc symbole du Bien et du Mal ; traitement des ombres et éclairages malveillants ; un grand angle déformant les perspectives et montrant un monde malade (Fritz Lang aurait validé) ; plongées et contre plongées sur les personnages ;… Il adapte même sa technique à ses personnages : le bon flic mexicain est souvent troublé par des ombres et semble vulnérable comme un pion ; le bad cop US, Welles himself, filmé en contre plongée est énorme, disproportionné, glouton voire gargantuesque semble inamovible ; Grandi, la truand de service, toujours filmé en mouvement incarne un autre type de danger. Pour filmer ce dernier en mouvement, il intégra, ce qui fût une première, une petite caméra mobile. Au titre des expérimentations, car ce film a aussi une dimension expérimentale, il tourna pour la première fois les scènes automobiles avec un comédien qui conduit réellement des véhicules en mouvement.
Et puis la distribution, car les noms parlent d’eux-mêmes : Orson Welles, Charlton Heston, Joseph Cotten, Janet Leigh (2 ans après dans « Psychose », elle y passera ; dans ce film, elle a l’air de jouer dans un préquel), Marlène Dietrich, Zsa Zsa Gabor,…
Une perle cinématographique au scénario trop complaisant et invraisemblable.