Il aura suffi d'une seule interview tronçonnée, saucissonnée et recomposée à la sauce "choc" de Konbini pour que Lola Quivoron passe du statut de prometteuse jeune réalisatrice acclamée à Cannes à celui de triste sire. Cette persécution de la part de personnes n'ayant (bien sûr) pas vu ni cherché à comprendre le film pour mieux le condamner, va de pair avec l'effrayante logique amenée par les réseaux sociaux à notre époque : tout est désormais sujet à perte de temps et d'énergie, bref, à la polémique. Finies la nuance, la complexité des choses, la profondeur, la patience : toute la Gaule est occupée par le Jugement, l'Individualisme et le Rejet. Toute ? Non ! Puisque résiste encore et toujours à l'envahisseur une bande d'irréductibles cinéphiles qui iront découvrir Rodeo pour ce qu'il est - un très beau premier film, plein de vitalité, aux personnages superbes et révélant une formidable actrice (Julie Ledru) - plutôt que pour ce qu'il n'est pas - une œuvre faisant l'apologie du crime et de la délinquance, point de vue pour le moins diffamatoire opportunément relayé par toute une bande de détracteurs (notamment des élus locaux et nationaux en pleine période électorale), basant son argumentaire sur une interview manipulée d'à peine 3 minutes.
Bref, le monde est fou, et ne l'est pas moins pour Julia, cette héroïne si imparfaite et pourtant si humaine, attachante. Âme libre, furieuse et incandescente, elle vit de petites combines tout en vouant une passion dévorante à la vitesse et aux motos au même titre que James Dean aux voitures. Alors qu'elle ne supporte plus sa famille et son quartier, elle cherche un moteur, une raison d'être. Ce moteur, elle le trouve dans sa bécane. C'est alors qu'elle tombe sur des voltigeurs du cross-bitume, une discipline mi-sportive mi-artistique, par essence très dangereuse, mais pratiquée dans certains cadres (notamment hors des quartiers, sur des routes excentrées et sans circulation, contrairement aux rodéos urbains et sauvages, qui incarnent quant à eux une pratique marginale, dangereuse, condamnable, qui a lieu sur la voie publique, au milieu des voitures et des piétons). Il y aura bien un ou deux garçons de la bande pour accueillir Julia avec curiosité, mais les autres ne manquent pas de la renvoyer en permanence à ce qu'elle est et ce qu'ils ne respectent pas au sein de leur pratique socialement codifiée comme « virile » : une femme. Jusqu'à ce qu'un accident l'amène à prendre une place nouvelle dans le groupe...
Rodeo est avant tout habité par une héroïne au caractère fort, indomptable. Tête brûlée, Julia ne se laisse jamais cerner dans un cadre, qu'il soit social ou cinématographique : elle occupe l'espace puis se dérobe, sans cesse en mouvement, détonante. Ce personnage de « femme voyou » navigue entre les genres, questionne les codes et déconstruit les archétypes. Face à elle, une autre protagoniste féminine est en quelque sorte son exact opposé. Ophélie est la compagne de Domino, le chef de la bande, avide d'argent et de puissance, qui envoie ses ordres depuis sa cellule de prison. Dépendante économiquement de son mari, elle ne vit que pour s'occuper de leur fils et de leur maison en son absence. La rencontre entre Julia et Ophélie va être la source d'apaisement de l'histoire et y apporter une certaine douceur, comme si le film se mettait alors à ralentir.….
Edouard Glissant disait : « Nous comprenons mieux le monde lorsque nous tremblons avec lui. Car le monde tremble dans toutes les directions ». Voilà une phrase qui résume à merveille Rodeo. Avec son montage énergique, en éruption, fait de ruptures, de contrastes et de déviations, le film donne la sensation d'être embarqué, secoué dans tous les sens au cœur de l'action. On en ressort exaltés, avec la résolution de se remettre au vélo pour commencer à son tour une « bike life », façon écolo ! Avec ce premier long-métrage grisant, Lola Quivoron nous adresse une vibrante envie de liberté, retentissant point de départ de sa future filmographie.