Le déni de grossesse se produit lorsqu’une femme enceinte n’a pas conscience de l’être, que son corps ne lui dit pas et que personne ne le voit (partenaire, parents, amis, médecins... etc). L’utérus ne basculant pas, ces femmes n’ont pas de ventre et le bébé se développe verticalement. Aucun des symptômes habituels de la femme enceinte n’apparaît. Il peut s'agir d'un déni partiel ou complet. Dans ce dernier cas, il y a accouchement sans que la femme ne sache ce qui lui arrive. Si elle accouche seule, le bébé peut être mis en danger, l’accouchement deviendra alors un problème médico-légal et les femmes peuvent encourir jusqu’à la prison à perpétuité.
Si l’on se base sur l’une des rares études épidémiologiques solides effectuée en 1990 et publiée en 2002, l’Etude de Jens Wessel - Berlin, que l’on rapporte aux nombres de naissances en France en 2018 par exemple. (Source Docteur Oguz Omay) Sur 760 000 naissances par an :
- 1/500 dénis partiels
- 1/2500 dénis complets = 304 dénis complets par an
- 1/10 000 naissances à domicile (en cas de déni complet) = 76 naissances par an. Sur ces 76 naissances à domicile, 15 décès de nouveaux nés par an = plus d’1 bébé par mois. (Attention ces décès ont de multiples causes : problèmes durant l’accouchement sans aide, bébé encombré, hypothermie, cordon qui l’étrangle... ils ne sont pas uniquement le fait d’un infanticide)
Pourtant ces femmes,
- vivent une relation stable à 80 %
- sont déjà mères à 50 %
- ne sont pas forcément adolescentes, immatures, avec troubles cognitifs ou psychotiques
"Je veux amener le spectateur à une vision sans préjugés, à saisir cette complexité incroyable et pourtant simplement humaine qu’est le déni de grossesse", affirme Béatrice Pollet. C'est pourquoi elle a choisi pour héroïne une femme issue d’un milieu aisé, éduquée, et surtout déjà mère car cela rendait la situation encore plus incompréhensible. En outre, elle a choisi d'en faire une avocate car c'est "un métier qui cristallise facilement les interrogations. Une avocate incarcérée pour tentative de meurtre, ça fait réagir tout le monde."
C'est en 2011 que Béatrice Pollet a entamé des recherches sur le déni de grossesse, après la lecture d'un fait divers sur une femme qui avait mis au monde un enfant, seule chez elle, sans comprendre ce qui lui arrivait. Un accouchement qui s'est terminé par la mort de l'enfant. "Plus je cherchais à comprendre et plus je me documentais, plus cette situation me captivait et me passionnait. J’ai eu la chance de rencontrer très rapidement les bons interlocuteurs." Si le temps d'écriture a été particulièrement long, c'est parce que la réalisatrice a veillé à réunir différents témoignages et à ce que son scénario soit relu par des médecins, des avocats, deux juges d’instruction, des experts psychiatres et obstétriciens. Elle a notamment été épaulée par Corinne Acker, experte psychiatre aux assises de Strasbourg.
Le film est dédié au docteur Félix Navarro, qui a créé l’Association Française pour la Reconnaissance du Déni de Grossesse, AFRDG à Toulouse, en 2006. La réalisatrice avait rencontré le médecin, aujourd'hui décédé, en 2011 à un colloque organisé par son association et entièrement consacré au déni de grossesse.
Elle y a aussi fait la connaissance d'une femme qui avait elle-même vécu un déni de grossesse et dont le drame (son bébé mort à l’accouchement, elle a été jugée aux assises) avait mené à la création de l’Association. "Cette femme a été la première à me raconter son histoire, la prison où elle est restée 9 mois. Elle fut en quelque sorte mon « grand témoin ». Ma motivation est donc partie de cette rencontre humaine. Je voulais évoquer sa souffrance, celle de sa famille, de son enfant aussi car elle avait déjà un fils." Cette femme fait d’ailleurs une apparition dans le film avec ce fils qui a vingt ans aujourd’hui.
Avec Toi non plus, tu n’as rien vu, la réalisatrice désirait faire un film sans pathos, à la narration simple et directe. "Je voulais de l’action, donner les faits, rien que les faits, en axant le film sur la construction de la défense de Claire et sur le travail d’enquête de la justice. Le spectateur a besoin d’être sûr d’avoir vu et ressenti la même chose, les mêmes ambigüités, que les protagonistes."