C’est un drame particulièrement efficace que nous propose la réalisatrice Delphine Deloget. Son film est construit sous la forme d’une spirale infernale dans laquelle se débat son personnage principal. Plus le temps avance, plus les scènes s’enchainent et plus, en tant que spectateur, on se dit que la situation de cette mère célibataire ne peut pas se terminer en « happy end ». Bien tenu, son film de moins de deux heures, sans artifices (sans flash back, sans scène pathos couvertes de musique tristes), évite le côté larmoyant et mélodramatique dans lequel il aurait facilement pu sombrer. D’ailleurs, peu de larmes dans ce film, il n’y a qu’une seule scène de désespoir, très courte. La réalisation peut paraitre un peu « sèche », peu de musique, des décors sans charme, mais c’est pour mieux servir le fond. Virginie Efira porte ses épaules le film tout entier. Cette comédienne, années après année, rôles après rôles, est en train de se construire dans le feutré une des plus belles filmographies du cinéma français. Ce rôle de mère est particulièrement difficile car assez complexe.
Ce n’est pas une mère défaillante et certainement pas une mère maltraitante, mais elle a un fichu caractère qui la dessert particulièrement dans la situation où elle est. Tout le temps (et de plus en plus) à fleur de peau, tout le monde lui répète sans arrêt de se calmer. Je me demande combien de fois la phrase « Calmez-vous ! »
est prononcée dans ce film ! Autant Virginie Efira irradie ce film de sa présence et de la sobriété (et de la justesse) de son interprétation, autant elle a la chance d’être parfaitement entourée. Ses deux frères, très différents l’un de l’autre, sont campés par Mathieu Demy (le frère raisonnable) et Arieh Worthalter (le frère marginal) et sont des personnages assez écrits. Et puis il y a Félix Lefebvre, dans le rôle de Jean-Jacques, une petite révélation dans le rôle du grand frère, un peu écrasé par les responsabilités mais très courageux. C’est un casting 4 étoiles pour des rôles pas évidents mais parfaitement tenus. Le scénario montre une femme qui se débat avec l’Aide Sociale à l’Enfance dans un combat inégal
et que l’on sent quasiment immédiatement perdu d’avance. C’est assez effrayant en fait, on a l’impression que quoi que cette femme fasse, cela ne servira à rien. Pour récupérer son fils, elle peut changer de travail, réunir tous les témoignages possibles, nettoyer et ranger son appartement de fond en comble, rien ne fonctionnera car elle a mis la main dans une machine à broyer. Le scénario laisse à penser que même une mère qui ferait tous les efforts du monde pour devenir une mère modèle ne récupèrerait jamais son enfant. L’administration y est dépeinte comme inflexible, un peu anonyme et implacable. Le personnage de Sylvie fait de mauvais choix, s’énerve trop vite, fait des esclandres, mais si elle fait cela, c’est que les immenses efforts qu’elle fait pour retrouver son fils sont vains. La métaphore des sables mouvants est parfaite pour décrire sa situation : elle se débat, elle n’en sera que plus vite engloutie. En plus il faut reconnaitre que son fils Sofiane est objectivement un enfant difficile, d’autant plus difficile qu’il veut rentrer chez lui, c’est le cercle vicieux parfait. On peut trouver que le film est déséquilibré, qu’il ne montre au final que le point de vue de Sylvie en mettant en cause la cécité de d’une administration bornée.
Ce petit déséquilibre m’a aussi un peu dérangé, je l’avoue. Car même en ayant pour le personnage de Sylvie toute la compassion possible, il faut reconnaitre qu’elle n’offre pas à ses enfants une stabilité exemplaire non plus. Elle a de la chance d’avoir un ainé qui endosse (trop) de responsabilités. Gros manque aussi dans l’intrigue :
où sont les pères ? Il faudra attendre le derniers tiers pour apprendre que le père de l’ainé est mort il y a longtemps mais le père du second, où est-il ? Pourquoi personne ne lui demande de comptes ? C’est comme si l’Administration, et donc la société toute entière, avait entérinée le fait que c’est normal qu’une femme se retrouve seule à devoir travailler la nuit pour s’occuper de deux enfants !
Je me suis doutée assez vite
que le film ne pourrait pas se terminer en fin heureuse, « tout le monde est réuni et tout el monde pleure de joie ». Pour tout dire, j’ai même envisagé l’inverse, que le film se clôture par un drame absolu. Mais non, la fin est assez ambivalente, assez cynique aussi.
La Le film se termine sur une sorte de point d’interrogation, une fin qui n’en est pas réellement une. Parfois cela pose un problème et laisse une impression d’inaboutissement, pas ici. Même s’il souffre de quelques petits défauts marginal, « Rien à Perdre » est un film très prenant, efficace et « un rôle à César » (encore un…) pour l’épatante Virginie Efira.