Le film de Delphine Deloget m'a laissée sur ma fin. Nous sommes allées le voir avec mon amie Jeanne. Attention à partir de maintenant je vais me la jouer critique amatrice de film. Donc, il s'agit d'une mère seule qui travaille dans un bar et qui élève ses deux enfants. Un jour le petit veut faire des frites en l'absence de sa mère, il se brûle et est emmené à l'hôpital par son grand frère. Les médecins font une IP (Information Préoccupante) et le petit est placé très brutalement pour une durée indéterminée. La mère est considérée par les services sociaux comme négligente.
Le film se penche alors sur son refus d'obtempérer, son désir de retrouver la garde de son fils et son combat pour entrer dans la case qu'il faut.
Je trouve que les acteurs et actrices sont globalement très forts, notamment India Hair que j'avais découverte très douce dans "Annie Colère" et qui dans "Rien à perdre" en tant que travailleuse sociale est passive agressive voir détestable. Les deux fils jouent aussi très bien leur rôle ce qui fait qu'au début nous arrivons à croire au cadre de l'histoire. Accessoirement Virginie Efira est, comme d'habitude, très impliquée et douée. Là où j'émet un reproche, c'est le fond de l'histoire. Quel est l'objectif du récit à part montrer le cas précis d'une erreur judiciaire ? D'un acharnement de la part des services sociaux envers une mère qui n'a besoin que d'un micro coup de pouce ? Non seulement le contenu dessert le métier des éducateur·ices et des assistant·es sociaux, mais il est aussi faussé et très peu représentatif. En effet, en France il y a un pourcentage énorme d'enfants qui sont en attente de placement, et faute de places en famille d'accueil ou en foyer, l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) a mis en place un système de "placement à domicile". Ce système permet un accompagnement intensif et régulier au sein de l'environnement initial de l'enfant. Il permet aussi de combler le manque de moyens et de places en foyer et en famille d'accueil. La priorité c'est l'enfant et donc aussi maintenir les droits de visite tant qu'ils sont envisageables et bénéfiques. Le petit, dans la vraie vie, ne serait absolument pas une priorité d'enfant placé. Certes il est important de montrer les conséquences des failles administratives et judiciaires au sein de l'ASE. Certes c'est intéressant de voir en image les effets du principe de précaution fondé sur le soupçon de maltraitance. Mais en tant que travailleuse sociale, je n'ai franchement pas apprécié, et je ne suis pas la seule, le parti pris de la cinéaste documentariste. Tout simplement parce que l'ASE rencontre des tas de problèmes qui touchent une partie énorme de la population française, et que le film visibilise une minorité irréaliste. Au fur et à mesure du récit, avec mon amie, nous bouillonnions de frustration et de déception. A tel point qu'à la fin de la séance j'ai pris la parole dans la salle pour préciser que la réalité du travail social est tout autre et moins binaire. Non pas qu'il n'y ait pas de maltraitance de la part des institutions, mais le rapport éduc-parents mérite franchement d'être plus nuancé au cinéma. Surtout lorsqu'on se targue d'avoir une carrière dans le documentaire. L'absurdité du système a des échelles qui sont variables. Il y a parfois des erreurs qui mettent des familles dans des situations d'arrachements injustes. C'est ce que ce film a su prouver. Dans le tableau qui est fait des assistants sociaux, il y a une autre échelle d'injustice qui à mon goût est retirée du film. Bien sûr, je ne pense pas qu'il faille changer les scénarios de films sociaux pour les transformer en films militants voir "lanceur d'alerte", convaincue que le cinéma permet de toucher en étant subtil, personnel et artistique. Mais le mépris total provenant de ceux qui détiennent les pouvoirs publics tel que les départements ou la ministre de l'Enfance, ceux qui font des choix politiques qui ont des conséquences directes sur les conditions de travail des travailleurs sociaux et les conditions de vies de mineurs, eux ont un mépris plus difficile à capter, mais tout autant cinématographique. J'aurai aimé que l'histoire se concentre plus sur la façon dont cette mère, Sylvie, (Virginie Efira) s'emmêle dans sa propre colère qui ne trouve pas l'écoute nécessaire face à ses incompréhensions. Sur le dilemme entre avoir raison de se révolter, et arriver à rentrer dans un moule rempli d'attentes aberrantes. Je n'ai pas trouvé que le traitement aboutit même sur cet aspect là du film. En tous cas, on cerne bien les répercussions d'une séparation subie. Mais cela m'a plus agacée qu'émue. Surtout la fin lunaire que je trouve hors sol et qu'on ne prévoyait plus, tellement c'était prévisible
(spoil) : la mère s'enfuit en Espagne avec son fils pour échapper au système judiciaire.
J'imagine que si je ne connaissais pas autant les rouages du secteur social, j'aurais pu apprécier. Voilà, c'est un drame social mais le véritable drame c'est que l'ASE s'effondre et que des milliers d'enfants ne sont pas protégés. Cette Sylvie existe-t-elle réellement ? Heureusement que des personnages peuvent exister uniquement dans les films, sauf que, pour ce cas précis, il me semble que ce n'était pas le but recherché. Ce film nous aura au moins permis de discuter longuement avec mon amie Jeanne, également travailleuse sociale. Et discuter, débattre et développer son esprit critique c'est aussi l'intérêt du cinéma.