"Tu sais, si vous partez, il y aura plus du tout de Juifs et... c'est à ce moment-là que les gens ils vont devenir vraiment des racistes, tu vois. C'est pour ça faut pas que vous partiez, en fait."
Narrativement délié, Le Dernier des Juifs de Noé Debré (scénario et réalisation) est dans la droite lignée des contes populaires juifs, dont les plus célèbres portés à l'écran restent selon moi Mangeclous (Roger Mizrahi, 1988, d'après Albert Cohen) et Le Chat du Rabbin (Joann Sfar et Antoine Delesvaux, 2011, d'après la BD du premier). On suit ainsi, partiellement en voix off (Lionel Dray), les aventures et le chemin initiatique de Bellisha (Ruben de son prénom) à travers sa cité que quittent les uns après les autres les Juifs de son quartier, face à ce qui pourrait être interprété comme un grand remplacement. Si le sujet pourrait faire polémique et dans le mauvais sens du terme, il est heureusement traité de manière factuelle et imaginaire à la fois, ce qui rejoint ce que j'en disais en préambule : on est dans un conte moderne.
Comédie populaire, l'oeuvre use forcément de préjugés afin de mieux les déconstruire ou s'en amuser. C'est tragique et drôle, questionnant et bienveillant tout à la fois, ça touche à l'inconscient collectif, même si on n'est pas issu de la communauté juive, c'est presque intemporel tout en étant ancré dans le réel, exploitant les thèmes de l'identité, de la religion, de la tradition et de l'exil.
Visuellement proche des comédies françaises des années '70, l'oeuvre gagne en intensité et en audace au fil de l'histoire, avec des cadrages en gros plans décadrés et jeux d'ombres et de lumières. Il faudra encore noter le souci du moindre détail qui nécessite une seconde vision.
Un fameux tour de force qui met à l'honneur tout le talent d'Agnès Jaoui (on le savait) et du jeune Michael Zindel, avec ses faux airs de Vincent Lacoste, une fois qu'on s'est habitué à son jeu décalé, sans oublier Eva Huault, toute de naturel vêtue et Solal Boulednine dont la diction n'est pas sans rappeler un Jean-Pierre Bacri plus jeune. Un conte moderne qui dépeint l'anecdotique du quotidien avec talent et une incomparable beauté.