Un monument, un film documentaire immense, pas seulement par sa longueur (plus de 10 heures), mais par son thème, sa teneur, ses choix scénaristiques et les drames poignants qu’il évoque. Le film alterne entre des interviews d’une grande richesse, justesse et sincérité, même quand l’interlocuteur cherche à se dérober, et des vues, des paysages, des lieux de mémoire, de sinistre mémoire. C’est un film qui a des longueurs, car il faut bien des longueurs pour dérouler le long ruban de la mémoire. C’est donc un film initiatique, c’est donc plus qu’un film, mais une expérience. Une expérience qui ne peut pas laisser indifférent, qui ne peut que remuer au plus profond de soi l’horreur, si l’on accepte de s’arrêter de vivre pour sur-vivre devant l’écran. Au-delà du message de fond qu’il véhicule, de ce film documentaire chacun en retiendra des bribes signifiantes, des apostrophes, il est aussi un révélateur de soi. Pour moi ce sont : ces paysans polonais qui faisaient le signe de mort (couper la gorge) aux juifs qui passaient en train par leurs campagnes. Cet autre train de luxe pour juifs fortunés, qui conduisait exactement au même camp de la mort que les wagons à bestiaux. Et de ce train, un juif qui descend s’acheter des cigarettes lors d’un bref arrêt dans une gare perdue et qui court après son train, manquant de le rater, lorsque celui-ci se remet en marche (que ne l’a-t-il raté !). Ce coiffeur, que Lanzmann va interviewer dans sa boutique, et qui lutte contre le souvenir et Lanzmann qui insiste, insiste, insiste, jusqu’à ce qu’il craque. Et ces villageois qui savaient, ne savaient pas, ne savent plus ce qu’ils savaient… C’est donc plus qu’un film-devoir, à voir, il est à expérimenter. On doit rendre aussi un distingué hommage à Claude Lanzmann, dont la force, la ténacité, tout au long d’années de tournage et de montage, ont permis la réalisation de ce film témoignage.