Avec « O’Brother, Where Art Thou ? », en référence une fois de plus aux « Voyages de Sullivan » (1941) de Preston Sturges, plus communément appelé « O’Brother », les frères Coen renouent avec la pure comédie qui leur avait valu leur premier succès commercial grâce à « Arizona Junior » (1987). Ce road movie librement inspiré de « L’Odyssée » d’Homère est le premier d’une série de trois films (le génial "The Barber" s’intercalera entre « O’Brother » et « Adorable cruauté ») qui verra doucement s’installer une très légère baisse d’inspiration (« Ladykiller », sorti en 2004, se révélera assez poussif) qui poussera les Coen à replonger de plain-pied dans un univers plus sombre et radical avec « No Country for old men » (2007).
« L’odyssée », les deux frères ont avoué ne pas l’avoir lu comme personne sur le plateau, hormis Tim Blake Nelson qui avait fait dans sa jeunesse des études de lettres classiques. Ce n’est pas grave, la geste « coenienne » est certes référentielle mais surtout pas révérencieuse, trouvant très vite en son sein une autonomie narrative et surtout esthétique. Il leur suffira après avoir affublé George Clooney du patronyme d’Ulysse de lui donner en allusion à Pénélope, une femme nommée Penny (Holly Hunter) que l’évadé du bagne cherchera à retrouver au cours de ce qui sera bien une odyssée moderne et joyeuse à travers l’État du Mississippi couleur sépia (géniale trouvaille du chef opérateur Roger Deakins) au temps de la Grande Dépression. Un peu comme dans « La chaîne » (1958) de Stanley Kramer, Ulysses Everett McGill (George Clooney) est obligé de cohabiter avec non pas un mais deux comparses, Pete (John Turturro) et Delmar (Tim Blake Nelson) qui comme lui n’ont pas la lumière à tous les étages.
Au fil de leur périple parsemé de clins d'œil au livre d’Homère, ils rencontreront le Cyclope en la personne d’un prédicateur sadique et voleur, interprété par le toujours génial et fidèle John Goodman, les sirènes figurées par trois femmes dans une rivière ou d'autres plus contemporains comme le jazzman légendaire Robert Johnson renommé pour l’occasion Tommy (Chris Thomas King) qui à partir de Crossroad, les accompagnera un bout de chemin, le temps d’enregistrer un disque et de fonder les « Soggy Bottoms Boys » (référence aux Foggy Mountain Boys, un groupe de bluegrass des années 1940).
On suit avec bonheur ce trio de pieds nickelés touchant et sympathique qui permet aux trois acteurs de cabotiner à qui mieux-mieux avec une prime spéciale pour George Clooney absolument génial en Clark Gable du pauvre, amoureux de la gomina qu’il passe avec soin sur ses cheveux dès qu’il a cinq minutes. En comparaison, John Turturro montre avec le recul une propension à l’emphase gestuelle et grimaçante qui finalement n’en fait pas le cabot génial qu’il voudrait être, s’avérant meilleur dans la sobriété. Tim Blake Nelson, acteur plus confidentiel, livre une prestation plus qu’honnête qu’il a sans doute construite en regardant les acteurs comiques du muet. Le tout est nimbé par la musique appropriée du fidèle Carter Burwell épaulé par T-Bone Burnett. Le passage bucolique dans le bayou, rythmé par le sublime « I’ll fly away » chanté par Allison Krause et Gillian Welch est enchanteur. Vraiment, il n’y a rien à jeter dans cette « Odyssée » des frères Coen qui se bonifie avec le temps et donc à chaque revoyure.