Une gare routière délabrée entre La Havane et Santiago de Cuba, un autobus en panne, des haut-parleurs enroués, des passagers qui font connaissance par force dans l'attente, des pièces mécaniques de rechange qui s'avèrent d'un secours inutile pour le vieil autobus, un "Commissaire des Transports" qui ne sait plus où donner de la tête... et c'est l'ensemble d'une bureaucratie, visiblement plus bon enfant que réellement autoritaire, qui s'effondre.
Dès lors les ardeurs ludiques et les extravagances débridées des personnages de Liste d'attente emmènent le spectateur dans un tourbillon poétique où le soleil des Caraïbes gomme l'existence chiche du quotidien cubain. Chacun se prend à révolutionner sa propre vie et le monde immédiat qui l'entoure. C'est à qui repeindra la gare de couleurs vives, à qui déclarera sa flamme à son voisin d'infortune coincé dans ce lieu clos, à qui fabriquera de l'utile ou de l'inutile pour le compte de la beauté en dehors de toute contrainte, et à qui se prendra à rêver pour le simple plaisir de faire vivre son imagination. A rêver ? Et pour cause, Liste d'attente est l'histoire d'un rêve. Et le rêve a ici des accents libertaires qui renvoient dos à dos les systèmes capitalistes et la bureaucratie "socialiste", dans un pied de nez jouissif. Liste d'attente est une fable qui sent les tropiques et la salsa, et quand bien même les personnages sortent du rêve à la fin du conte, ils gardent dans le regard la beauté du dépassement produit par l'imaginaire.
Si le scénario est aérien, si les dialogues sont emplis d'humanité sans sensiblerie "humaniste", ce film de Juan Carlos Tabio souffre toutefois de quelques longueurs : certaines scènes (redondantes) auraient fort bien pu être coupées lors du montage sans rien enlever au souffle de liberté qui court tout au long du film. De plus, l'histoire s'empêtre à deux ou trois reprises dans un didactisme formaliste qui nuit à la grâce du propos. Cela dit, pour une première réalisation, ce film est une réussite.
Mon commentaire s'inscrit en faux vis à vis de la critique qu'ont fait les "Cahiers du Cinéma" à propos du film. Voyant dans cette réalisation une Nième représentation de la "propagande cubaine", le tâcheron de service de cette revue (que j'apprécie pourtant en dépit du ton pontifiant de sa ligne éditoriale) a probablement été ébloui par les rayons d'un soleil trop grand pour lui, mais il a surtout manqué de noter que le film était une production internationale qui n'a pas eu besoin du tampon officiel de Fidel Castro ou du "Ministère cubain de la Culture" pour voir le jour. A croire que ce scribouillard n'a ni lu la fiche technique de la production ni vu le film, chose fort possible dans les salons parisiens où la glose universitaire et pseudo-intellectuelle d'une gauche idéologiquement à droite prévaut haut la main sur une connaissance réelle des choses de la vie.