L’histoire de la Lituanie est une correspondance permanente entre son passé soviétique et son identité confuse, encore aujourd’hui. L’auteur de la trilogie « Zero », Emilis Velyvis, revient alors sur ce même genre de chronique désabusé, au service d’un thriller captivant. Il ne faudra pas longtemps pour se rendre compte des atouts premiers de son cinéma, avant tout démonstratif par le montage et le sens du détail. Alors qu’une série de meurtres envahit le calme et l’harmonie d’une ville provinciale, c’est toute une génération corrompue et au secret bien gardé que l’on assiste à une double lecture sur la naissance du mal. Ce malin parcours pourrait évidemment nous ramener aux meilleurs des David Fincher des années 90, mais le cinéaste jongle avec ses outils, sans se préoccuper de la comparaison. Son seul objectif réside dans ce divertissement cruel, superposant continuellement une couche plus disgracieuse que la précédente, car c’est sans doute ce que le spectateur sera venu chercher.
La violence est une passion, qui alimente le portait du chaos, dans un monde qui pourrait presque sortir d’un conte morbide. Alors que des écoliers récitent des lignes patriotiques, l’un d’eux trouve plus amusant de braquer une arme sur son enseignante. Nous y sommes, ce monde se situe à la frontière de notre domicile, jusqu’à venir se coller à notre peau ou ne faire qu’un avec le regard impuissant du spectateur. L’entrée en matière ne relâche pas son intensité et le rythme maintient une bonne dose de tension pour les 90 minutes à suivre. Malgré une assez grande galerie de protagonistes, il suffit d’en introduire une poignée pour prendre le pouls d’une communauté qui déraille, entre le pouvoir politique et le déploiement d’une violence sans limite. Il n’y a ni héros, ni personne à sauver dans ce carnage. Gintas (Vytautas Kaniusonis) est un commissaire qui sonne la retraite pour un peu plus de visibilité et de soutien dans son patelin. Face à lui, Rasa (Ingeborga Dapkunaite) oppose une résistance capricieuse et en même temps précieuse, concernant son désir de politique, lui qui est aussi imparfait comme père, comme mari et comme un être humain.
Nous revenons souvent à cette réflexion identité, qui semble peu à peu devenir l’enjeu de toute une troupe, devenu la cible de leur propre passé. Gintas dérive alors continuellement et l’arrivée du jeune enquêteur Simonas (Ainis Storpirstis) ne viendra pas arranger ses affaires. Le monde s’effondre dans la crasse que le commissaire a lui-même entretenu, mais qu’il ne parvient pas à voir ou à anticiper. Sa chasse à la sorcière se retourne contre ses principes, déjà fragilisés par ses contradictions. Pourtant, on ne peut lui enlever son amour pour son jeune fils, celui-là même qui tient l’objet de tous ses malheurs. Nombreux sont les personnages à invoquer la faucheuse dans leurs derniers instants et dans une violence graphique rare, que l’on met en scène avec rigueur. Hélas, la bonne part aux femmes dans ce récit peut sonner comme anecdotique ou sans conséquence, bien que l’on sente révolté. C’est là qu’est à la limite d’une écriture qui fonce dans le tas et qui ne prend pas soin de considérer le dommage collatéral.
En somme, « The Generation of Evil » (Piktuju Karta) est aussi troublant qu’un rouble soviétique trouvé au pied des cadavres. Velyvis n’est pas ici pour rééquilibrer des rapports de force, mais plutôt pour accompagner l’élan criminel, qui est dans l’ADN de son pays. Il abat ainsi toute la symbolique d’un rideau de fer qui ne peut empêcher le mal d’exister et d’investir tous les lieux, qu’il soit public, saint ou intime. Tout le monde est sous le joug d’un tir à bout portant et le film assume cette démarche nerveuse et le purgatoire qui en découle.