Ladj Li l’a bien compris, le problème du logement est le point de départ de tous les autres problèmes de la banlieue, la délinquance, le communautarisme, les violences policières tout cela trouve sa source dans la question du logement. La force de son cinéma, c’est de réussir à proposer à intervalle régulier des scènes fortes, parfaitement filmées, et qui mettent le spectateur quasiment en apnée :
la scène du cercueil en pré-générique, celle de l’incendie ou celle, centrale, terrible, de l’évacuation manu militari du 24 décembre
. La réalisation nerveuse, couplée à une direction d’acteur parfaitement tenue, permet à « Bâtiment 5 » de scotcher le spectateur sur son fauteuil jusqu’à la scène finale.
Et cette longue scène finale, qui lorgne beaucoup sur celle des « Misérables », met les nerfs à vif. Là encore, tout peut basculer dans le drame absolu d’une seconde à l’autre, la tension est à couper au couteau. Cette-fois-ci en revanche, pas de fin brutale au milieu d’une scène. Merci parce que la fin des « Misérables, je ne m’en suis pas encore bien remise ! Tout, dans la construction de son film, concoure à provoquer cette fin en forme de paroxysme, effrayante, et assez bouleversante.
C’est la forme bien connu et efficace de la spirale infernale. Musique bien utilisée, dialogues percutants, mise en scène nerveuse et montage au cordeau, son film passe tout seul et ne provoque pas une seconde d’ennui. Il offre à la jeune Anta Diaw le rôle principal et je me demande si une immense comédienne ne vient pas de naître là, sous nos yeux, avec ce film. Elle irradie de sa présence « Bâtiment 5 » : juste, à fleur de peau, révoltée mais sans jamais surjouer, Ladj Li lui a offert un rôle-cadeau. On va entendre parler d’elle bientôt, j’en fais le pari. C’est peut-être un peu moins le cas d’Alexis Manenti. S’il était incroyable en flic de la BAC, il est un petit peu moins convaincant en maire de droite, (trop) droit dans ses bottes idéologiques, et pas du tout prêt à administrer une ville comme celle-ci. Certains pourraient trouver ce personnage caricatural, et il y a 10 ans j’aurais été d’accord. Mais aujourd’hui, la vie politique française étant ce qu’elle est, ce personnage est finalement assez crédible. Il est parfaitement lisible, ce qui est loin d’être le cas de son 1er adjoint Roger incarné par Steve Tientcheu. Alors lui, impossible de le cerner. Ce grand costaud est-il la « caution banlieue » de cette municipalité ? Il est suggéré qu’il n’a pas les mains propres (comme le maire décédé d’ailleurs) mais on n’en saura pas plus. Il semble poursuivre un agenda personnel qui n’est pas celui du maire en place, bref, c’est un personnage totalement crypté. Je me doute que le scénario de « Bâtiment 5 » ne va pas plaire à tout le monde, mais au contraire des « Misérables », il est difficile de ne pas partager le constat de départ du film : les quartiers délabrés sont une patate chaude que se refilent les équipes municipales et personne n’a la bonne réponse à ce problème. La manière Pierre Forges, que clairement le film dénonce, c’est la manière forte : en envoie la police, on fait des actions coups de poings, on rachète, on rase, on reconstruit autrement pour changer la sociologie de la ville. Cette équipe municipale, qui n’a que la force de la loi à la bouche, a l’air de s’en être pas mal écarté au moment de l’attribution des marchés publics ! « Dura lex, sed lex » dit une députée,
tout en allumant une cigarette dans un restaurant. Tout est dit dans ce geste anodin : faire respecter la Loi, c’est pour les autres. C’est pour eux un moyen d’obtenir ce qu’ils veulent, pas une finalité. Parce que la Loi, cette équipe la malmène quand même pas mal : le droit de propriété des meubles et des objets ? Négligé… Le droit de propriété des appartements et les règles de l’expropriation ? Contourné… Le droit opposable au logement ? Oublié…
Le scénario essaie de ratisser au-delà des problèmes de logement : les maires sollicités et parfois agressés, le problème des refugiés et du droit d’asile, la corruption, les policiers qui abusent des accusations d’outrages, tout cela est évoqué mais en surface. Même si le film peut sembler démonstratif, partial, parfois outrancier et caricatural, je le trouve personnellement assez convaincant sur le fond. Peu importe les petits défauts, « Bâtiment 5 » mérite le détour. S’il n’a pas la puissance dévastatrice des « Misérables », il a d’autres qualités à faire valoir.