La première fois que j'ai vu L'Armée des douze singes, j'avoue que j'avais plus ou moins posé mon esprit critique au vestiaire, à la fois j'avais genre quatorze ans. Il faut dire que la construction du récit -voyages entre plusieurs époques, rêve du héros...- demande d'être un minimum attentif. Je m'étais donc laissée transporter par le film sans me poser trop de question. En finalité, j'avoue avoir beaucoup apprécié l’œuvre de Terry Giliam sans pour autant avoir un avis structuré sur le pourquoi du comment j'avais aimé.
Cette fois, parce que je me souvenais très bien du scénario, j'ai pris le temps de savourer tout ça. Donc de tenter de déstructurer un peu le fonctionnement du film et « d'analyser » ce que j'ai pu ressentir et penser pendant le visionnage. Ou plus simplement, ben j'ai pris des notes -wouhaou-.
Le thème qui m'a le plus intéressée -et fascinée- dans L’Armée des douze singes est sans contexte celui de la mémoire. James Cole, notre héros, ne cesse de faire le même rêve. Enfant, il se trouve dans un aéroport et assiste à une scène violente. Tout au long du film, la scène se modifie. A se demander quelle part de ce «souvenir » est réelle et quelle influence a le présent sur la reconstitution de ce dernier. Ce qui semble prévaloir sur la réalité, c'est la perception qu'en ont les personnages, consciemment ou non.
Au départ le héros est envoyé en 1990. Devant les psychiatres -dont Kathryn Railly-, Cole explique qu'il vient du futur, qu'il n'est pas fou mais qu'il est ici pour trouver des informations sur le virus qui a décimé la population en 1997. Bien entendu, personne ne le croit. A ce moment là les données sont plutôt simples. Puis Cole retourne dans le futur. Après un autre voyage raté -il se retrouve propulsé dans la premier guerre mondiale- il parvient enfin à retrouver Kathryn Railly et la kidnappe. Là aussi, les choses sont claires, Cole vient du futur et sorte de Cassandre de l'apocalypse, personne ne veut l'entendre. La psychiatre n'a de cesse de persuader son ravisseur qu'il est malade. Encore une fois, Cole retourne en 2035. Cette fois, sa vision bascule et il pense effectivement être atteint de troubles mentaux. On le renvoie dans le passé alors que Kathryn est enfin persuadée que Cole a dit la vérité sur le virus et l'implication de l'Armée des douze singes. Et là, dans les arguments que développe le héros « oui je suis fou mais je vais guérir », on voit à quel point tout est justifié. Ce qui compte à ce moment du récit, c'est où le spectateur place finalement sa confiance. Les deux thèses semblent se défendre et deux réalités sont possibles. Dans la première, nous sommes bien dans un récit de science-fiction. Le voyage dans le temps est l'argument premier du scénario et Cole est juste en train de rencontrer des difficultés à gérer ces multiples excursions dans le passé. Dans la seconde réalité possible, ce sont les troubles mentaux qui sont au centre du récit. Cole est malade : il croit ou a cru dans la réalité de ce monde de 2035 et en sa mission. L'obstacle ici n'étant plus les effets du voyage dans le temps sur son équilibre mais le traumatisme du docteur Kathryn Railly. On pourrait avancer l'idée qu'elle souffre du syndrome de Stockholm et n'a comme choix, pour rendre le kidnapping et sa propre fragilité supportable, que de penser que Cole a dit la vérité. Bref, plus qu'une histoire de temps et de virus, L'Armée des douze singes pourrait être le récit de la mémoire et des troubles qu'engendre la fragilité et la subjectivité de nos souvenirs, de notre perceptions de la réalité.
A côté de cet aspect -ô combien passionnant-, le film a de nombreuses qualités. La première d'entre elles est sans doute les prestations du trio d'acteurs qui campe les premiers rôles. Bruce Willis -James Cole- nous offre quelque jolis moments et Madeleine Stowe -trop souvent sous-employée dans sa carrière- nous prouve son talent. Le travail de Brad Pitt est sans doute celui qui marque le plus le téléspectateur, il faut dire qu'à l'époque on venait juste de découvrir qu'il était un comédien de valeur avec ses prestations dans Entretien avec un vampire et Seven. Dans L'Armée des douze singe, sa prestation correspond tout à fait à l'univers de Terry Gilliam. Clapclapclap.
Une autre chose m'a frappée dans le film : la musique. J'ai trouvé la BO tout à fait approprié à l'ambiance du film. Le morceau avec l’accordéon est assez chouette. Enfin, la chanson du générique de fin « What a wonderful world », mythique, est un choix vraiment intelligent.
Bref, beaucoup de choses biens dans le film de Terry Gilliam. Mais pas que... Ben nan, tu sais comme je suis difficile...
L’Armée des douze singes est donc une œuvre de Terry Gilliam, à qui l'on doit -entre autres- Brazil ou Las Vegas Parano. Ce que certains encensent chez le réalisateur est la même chose que ce que lui reprochent ses détracteurs. Je ne suis pas une inconditionnelle du cinéma de Gilliam même si j'apprécie certaines de ses œuvres. Pour ce qui est de celle qui nous intéresse ici, j'ai tendance à trouver certains de ses discours un peu lourds et démonstratifs. La présence des sujets de la manipulation médiatique, du poids de la technologie, du déclin de la communication manque franchement de subtilité. La question de la normalité est intéressante mais se noie un peu dans la réalisation de Gilliam. Cadrages volontairement bancals, gros plans à foison, décors un peu poussifs, on retrouve bien le style de l'ancien des Monty Python. Bref, on aime ou pas et moi j'ai un peu de mal. Le goût des mises en abyme -avec entre autres Sueurs froides d'Alfred Hitchcock- et de la complexité sert néanmoins le propos et a sans doute contribué à faire de l'Armée des douze singes un film qui a marqué l'histoire de la science-fiction. N'empêche que la symbolique et les fils conducteurs m'ont plusieurs fois fait lever les yeux au ciel. Particulièrement, la présence des singes tout au long du film(le film "Monnaie de singe" à l’hôpital ou encore le lien avec Le Magicien d'Oz).
Reste que L'Armée des douze singes est un film intéressant qui résiste bien à plusieurs visionnages et au temps qui passe. Une œuvre à voir au moins une fois.
Passons maintenant au thème qui nous intéresse dans le cadre de le challenge -sur le blog- « Histoires de temps »... Vu que c'est le premier article de la thématique, je ne peux pas comparer le traitement du voyage dans le temps dans d'autres œuvres. Mais je vais essayer de m'intéresser de plus près à la vision que nous offre le film de Gilliam. Je suppose que pour ceux qui ont vu le film, ils auront vu la même chose que moi -n'hésite pas à le dire dans les commentaires, d'accord ou pas- : le récit forme une boucle. Le début qui annonce la fin qui rappelle le début. Un cercle. Bref, le voyage dans le temps engendre une boucle et le héros semble se battre contre des moulins à vents. Rien ne peut être empêché dans le destin de James Cole. Premièrement on peut se demander si le film adhère réellement à une vision circulaire/cyclique du temps. Ce point du vu nous faisant plus penser à celui des cultures asiatiques qu'occidentales -avec le temps comme quelque chose de plus ou moins linéaire-.
Si le voyage dans le temps est un élément qui existe déjà depuis longtemps dans la littérature, les questions que posent le thème ont changé. Ce qui compte ce n'est plus la technologie en elle-même, celle qui permet de retourner dans le passé, mais bien les paradoxes qui en découlent. Ainsi, les œuvres qui proposent l'idée que toute action a des conséquences incontrôlables sont nombreuses -L'Effet papillon par exemple-... Sauf que d'une certaine façon, Terry Gilliam s'en éloigne. Il semble que Cole subisse son destin sans pouvoir y changer quoique ce soit.
La question des conséquences des voyages sur l'équilibre mental de James Cole est l'aspect central dans L'Armée des douze singes. Les scientifiques eux-même, en cherchant un « volontaire » mentalement fort, s'attendent à ce que les voyages mettent en péril l'équilibre des envoyés. Alors que la science-fiction a souvent abordé les conséquences des modifications du passé -donc sur le destin des personnages et de notre civilisation-, Terry Gilliam, lui, regarde les conséquences non pas sur les fait mais sur le psychisme et les souvenirs de ses personnages.