De la misère
En 2016, on avait apprécié le 1er film de Nicolas Silhol, Corporate. Entre temps, il avait cosigné deux excellents scénarii pour Les Eblouis et dernièrement, pour Magnificat. Avec ces 95 minutes de drame social, il réussit de nouveau à nous passionner pour une chronique d’une dystopie annoncée. Inès est menacée de se faire expulser de chez elle avec Adam, son fils de 14 ans. A la recherche d’un emploi, elle est prise à l’essai chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux inoccupés pour les protéger contre les squatteurs. Son rôle : recruter les résidents et faire respecter un règlement très strict. Inès est prête à tout pour se faire embaucher et s’en sortir avec Adam. Mais jusqu’où ira-t-elle ? Glaçant, révoltant et hélas très édifiant du monde dans lequel on s’enfonce à grands pas.
S’il est un genre dans lequel le cinéma français rayonne, c’est bien le film politico-social. En voilà un bel exemple avec ce qu’il faut de tension, de pédagogie et d’émotion pour tenir en haleine un public stupéfait devant tant de bassesses. Qu’est-ce que la loi anti-squat ? Un système légal qui permet aux propriétaires de confier leurs biens vacants à des organismes publics ou privés afin d’y loger des résidents temporaires. Le but de ce dispositif est de protéger les espaces vacants (bureaux, couvents, Ehpads...) d’une occupation illicite et de trouver des places d’hébergements pour les personnes en situation précaire. A lire comme ça, on se dit que ce dispositif – inspiré des Pays-Bas -, va apporter des solutions pour pas mal de sans-abris. Détrompez-vous ! Car, lesdits logements sont mis à disposition temporairement, pour une redevance moins importante que les loyers du marché. En contrepartie, ils sont encadrés par des règles locatives très flexibles pour les propriétaires, mais plus contraignantes pour les résidents : l’expulsion possible pendant la trêve hivernale, les enfants et les animaux interdits dans les locaux et pas plus de deux invités, l’interdiction de s’exprimer dans les médias et de s’absenter plus de deux jours sans autorisation. Cette loi Anti-Squat déposée le 18 octobre 2022 et promulguée le 14 juin 2023 par le Sénat et l’Assemblée Nationale, durcit les sanctions liées aux squats de locaux et pérennise cette expérimentation de système locatif. C’est donc ce qu’on appelle pudiquement la protection par l’occupation qui nous est décrit dans ce film pathétique jusqu’à la nausée. On comprend que, dans les faits, la mise en pratique de cette idée est plus guidée par le profit que par l’humain. Restriction des libertés, servitude volontaire et, face à ces dérives, la tentation de la révolte servent de toile de fond à l’histoire d’Inès qui voit un engrenage infernal se refermer sur elle. Ce monde de demain, c’est déjà aujourd’hui.
Louise Bourgoin, sans nul doute dans son meilleur rôle à ce jour, nous gratifie d’une performance formidable. Elle ne quitte pas l’écran et en profite pour le crever. Elle est fort bien entourée par le jeune Samy Belkessa, une révélation, Sâm Mirhosseini, Kahina Laroucine, Antoine Gouy, Adèle Wismes, entre autres. Silhol film sans misérabilisme la pauvreté et la déshumanisation qui rongent notre société dans un thriller social très réussi. On ne sort pas de là en faisant des claquettes, c’est certain, mais plutôt avec un goût amer au bord des lèvres, mais aussi avec la sensation d’avoir appris quelque chose d’encore plus déprimant sur ce monde libéral qui nous écrase.