« Abdel et Malik : plus jamais ça », des mots qui ont marqué l’aube de l’hiver 1986, symbole d’amertume et de colère, d’étudiants déjà dans un duel avec le ministre délégué, Alin Devaquet, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous cohabitation gouvernementale de François Mitterrand et de Jacques Chirac. En tentant d’instaurer son projet, visant à engager la jeunesse dans la compétitivité, ce dernier fusille également le « savoir », que l’on défend avec une certaine condescendance. Rachid Bouchareb pose rapidement le contexte, à la force d’images d’archives, où le devoir de mémoire hante encore notre actualité. Le souci d’intégration et d’identité se discute au cas, mais le double homicide des étudiants catalyse davantage la nécessité de renouer avec ce combat, porté par une jeunesse qui s’éteint en espérant.
Le réalisateur et scénariste de « Indigènes » et de « London River » nous projette dans le traumatisme, en laissant la violence dans le hors-champ, mais la démonstration atteint ses limites dès son exposition. Deux familles sont contactées en pleine nuit, sans savoir de quoi il retourne, mais sans nouvelle d’un fils ou d’un frère. La police a dès lors toutes les cartes en main. Ils détiennent autant la vérité sur leurs propres bavures que leur complicité dans un acharnement raciste, que « La Haine » de Kassovitz aura mieux poncé dans sa fiction. Ici, c’est l’hommage qui est de mise, mais le film ne cherche pas non plus à incendier les coupables ou un système, qui incite les étrangers à renier leurs origines. Tout cela manque de profondeur dans son propos, plutôt bien illustré, alternant aisément avec les archives.
Cependant, il manque ce fameux commentaire du cinéaste, qui se ressent à peine dans ses personnages, à l’exception de Mohamed (Reda Kateb) et Sarah (Lyna Khoudri). La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, mais rien n’empêche les deux familles, inconnues l’une de l’autre, de se lever et partir au front. Seules les forces de l’ordre sont casquées dans cette histoire, tandis que la foule se limite davantage à un mouvement, sans destination précise, dans le cadre de ce deuil national. Quand bien même cela aurait été vécu ainsi, le pessimiste de l’intrigue nous renvoie à notre incapacité de lutter. De même, l’inspecteur en charge de l’affaire, Daniel Mattei (Raphaël Personnaz), se situe également entre deux feux, celui de ses supérieurs et des parents de victimes, qui n’ont pas encore eu le temps de digérer leurs disparitions. La timeline consacrée ne tient qu’en une poignée de jour, idéal pour en saisir la douleur, dans une spontanéité sans faille, mais qui ne repose que sur les performances des comédiens. Tous en ressortent dignement, mais derrière, il ne reste pas assez de matière pour justifier le collectif qui en découle.
« Nos Frangins » martèle l’idée d’intégration, notamment à travers des images que l’on a oubliées ou que l’on découvre. La fraternité est explicite dans ses intentions, mais ce bazar réclame une documentation plus pointue, même en optant pour un drame intimiste sur fond de Renaud, qui dégage toutes les peines d’une époque pas si lointaine, qui répète ses erreurs, tout comme le retour de l’escadron de voltigeurs, la flèche et l’arc d’une unité déchue, qui cogne avant tout sur un visage plutôt que dans un être humain. Ce film ne manque donc pas de sincérité, mais bien de tact quand il s’agit de rouvrir une plaie qui n’a jamais pu cicatriser.