Avec son film, "Nos frangins", le cinéaste Rachid Bouchareb se propose de réveiller un peu notre mémoire endormie.
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, le jeune Malik Oussekine est roué de coups, à mort, par une équipe de "voltigeurs", les commandos motocyclistes créés par Marcellin après 68.
Il n'y avait même pas de manif "anti-Devaquet" ce soir-là (juste l'évacuation de la Sorbonne plus tôt dans la journée et relativement calme) et le jeune Malik sortait simplement d'une boîte de jazz du Quartier Latin.
Robert Pandraud, le bras droit de Charles Pasqua, déclare que son père aurait dû l'empêcher de sortir faire le con la nuit.
La même nuit, à l'autre bout de Paris, le jeune Abdel Benyahia s'interpose dans une petite bagarre à la sortie d'un bar.
Un flic en civil sort du bar, complètement ivre, et le tue à bout portant.
Les deux "bavures" n'ont rien en commun sauf que :
- il s'agit de deux morts "non politiques" (aucun des deux jeunes gens ne participait à un mouvement quelconque)
- il s'agit de deux jeunes gens d'origine algérienne
- les deux meurtres sont d'origine policière
- les institutions ont tenté d'enterrer les deux affaires avec entêtement.
La tragédie de Bouchareb, empreinte d'un déterminisme sociétal un peu fataliste, baigne dans une noirceur désespérée, incarnée par le flic de l'IGS qui semble porter toute la responsabilité de notre société sur ses épaules.
Même si la brigade des voltigeurs de Marcellin lancés par Pasqua sur les étudiants en 1986 a été dissoute après la mort de Malik Oussekine, on se dit que le Monde d'Avant n'était pas si rose que cela.
Mais nous pouvons oublier tout cela de nouveau, nous sommes dans le Monde d'Après.
Sauf que c'est un autre homme de l'Ordre, le préfet Lallement, qui remettra sur pieds (ou plutôt sur roues) les brigades armées motorisées en 2019 contre les Gilets Jaunes ...
Le film de Bouchareb n'est pas exempt de défauts notamment dans son traitement différencié très marqué des deux familles endeuillées, celle de Malik et celle d'Abdel : cela part d'une bonne intention, celle de montrer que quel que soit son statut social, riche instruit ou simple ouvrier, on a d'abord le statut d'arabe, mais le trait un peu grossier est trop marqué et finalement assez maladroit (et controversé).