La trajectoire de Tridan Lagache emprunte à ces protagonistes naïfs qui animaient les récits des philosophes des Lumières : Candide est chassé du meilleur château du monde « à grands coups de pied dans le derrière » et remet en question les certitudes transmises par son précepteur à mesure qu’il parcourt le globe ; Usbek laisse derrière lui son sérail persan pour découvrir Paris et confronter les deux modèles sociétaux, l’un oriental, l’autre occidental ; l’innocente Suzanne est jetée par ses parents dans le microcosme austère du couvent qui détraque les âmes nobles et contraint la croyance à des pratiques de dévotion qui ne sont pas les siennes, etc. Dany Boon extrait Tridan du Club Med après une quarantaine d’années passées là-bas, sans jamais connaître autre chose que les arrivées et les départs de cars remplis d’amis transitoires et de vacances qui, pour lui, n’en étaient pas. Débarqué à Paris, il découvrira son demi-frère, promesse d’une comédie à la Twins (Ivan Reitman, 1988) qui rapproche deux hommes que tout oppose – professions, caractères, sexualité, physiognomie – dans la perspective, attendue, d’un choc des cultures et des idéologies associées.
Rien de tel pourtant dans La Vie pour de vrai, production désarmante de guimauve répandue près de deux heures durant, dont le titre trahit d’ailleurs la prétention déplacée du réalisateur-acteur-scénariste-spectateur Boon, soucieux de nous révéler la vérité de l’existence, vérité synonyme de niaiserie et de sourires idiots. Car le long métrage confond le naïf et le niais, enrobe chacune de ses séquences d’un mauvais sucre indigeste qui fait gonfler ses situations jusqu’au ridicule : nous ne croyons pas une seule seconde à cette rame de métro qui se met à sourire puis à applaudir, ni à cette romance vulgaire avec une Charlotte Gainsbourg empruntée à Nymphomaniac (Lars von Trier, 2013), ni à la rédemption du pauvre demi-frère campé par Kad Merad dont le quotidien sinistre se voit converti, de force, en rayon de soleil. Si Dany Boon recourt bel et bien aux schémas des récits d’apprentissage, il en oublie l’essentiel, à savoir l’apprentissage et sa dimension partagée, la remise en cause de la culture d’origine et de la culture d’accueil ; son conte n’ouvre pas sur la condamnation de l’aveuglement ethnocentrique ou pessimiste, il est lui-même victime d’un aveuglement devant l’Optimisme – théorie philosophique que Voltaire déculottait il y a près de trois siècles ! – et d’une allégeance certaine aux travaux récents de Martin Seligman, père de la « psychologie positive », et consorts.
Ce qui est sûr, c’est que les bons sentiments ne font que rarement un bon film et se communiquent mal – pensons à la dernière réplique prononcée par Paula Beer dans Frantz (François Ozon, 2016) lorsque, contemplant la peinture d’un homme ayant mis fin à ses jours, elle affirme : « ce tableau me donne envie de vivre » – et que l’engluement mélodramatique qu’ils causent ici rend obsolète la mécanique comique de Dany Boon, en dépit de quelques bonnes idées telles ces larmes versées à chaque bus RATP rencontré. Quant à la mise en scène… pleurons devant cette laideur et ce charcutage – le montage ne prend même pas la peine d’orchestrer les transitions nécessaires aux changements de lieux et aux ellipses.