Autopsie d’une chute.
Stéphane Demoustier a fait, en 2020, une entrée fracassante dans le cercle des cinéastes à suivre avec son excellent La fille au bracelet. Il récidive et même fait encore mieux avec ces 120 minutes fortes, oppressantes et palpitantes à la fois. Melissa, 32 ans, surveillante pénitentiaire expérimentée, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d'un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens. L’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu, un jeune détenu qui semble influent et la place sous sa protection. Mais une fois libéré, Saveriu reprend contact avec Melissa. Il a un service à lui demander… Une mécanique pernicieuse se met en marche. On sait que le « décor » carcéral sied toujours très bien au cinéma. Ça se vérifie encore une fois et comment… !
Le titre « Borgo » est le nom de la prison corse où se déroule une bonne partie de l’action, en tout cas où les interactions se nouent et évoluent. La Corse – et les corses -, sont à la fois fascinants, déroutants et quasi impossibles à comprendre pour les continentaux, - pauvres pinsouts - que nous sommes. Une preuve de plus, on dit de cette prison que se sont les prisonniers qui y surveillent les gardiens. Le scénario est très inspiré d’un véritable fait divers dans lequel une surveillante pénitentiaire se retrouvée mêlée à un règlement de comptes entre deux bandes rivales. Le cinéaste a pris ses distances avec les faits réels en se rapprochant de son héroïne – qui, au demeurant, attire peu l’empathie -, en sondant le basculement et ce glissement qui vont provoquer l’engrenage dont elle sera rapidement prisonnière. Tout cela en tentant de répondre à la question : comment peut-on en quelques mois seulement passer d’un quotidien ordinaire à celui d’une criminelle ? Loin des balbutiements de ses premiers films, Terre battue et Allons enfants, Stéphane Demoustier confirme que maintenant, son écriture est impeccable et originale, et que caméra à la main, il sait faire. Traité de main de maître, ce thriller carcéral est en tous points remarquable et vaut donc vraiment le détour.
L’autre force de Desmoustier, c’est la direction d’acteurs. Il a la chance, ici, d’avoir la formidable Hafsia Herzi pour tête d’affiche. Le ravissement, A l’ombre des filles, Trois nuits par semaine, La graine et le mulet, prouvent que nous tenons-là une actrice remarquable, qui de plus, sait choisir ses rôles. Elles est fort bien entourée par Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, -formidable à contre emploi -, Pablo Pauly, Florence Loiret-Caille, et une flopée d’acteurs corses d’un réalisme parfait. Un des chocs français de ces 4 premiers mois de 2024. En immersion totale, ce film est asphyxiant. Allez-y, vous ne le regretterez pas.