Modèle par excellence de la féérie musicale caractéristique du studio MGM, et plus largement, d’Hollywood à partir des années 1930, Le Magicien d’Oz est une œuvre fortement ancrée dans la culture populaire américaine, des années 1940 à aujourd’hui.
Dès 1924, la MGM envisage d’adapter le premier tome des aventures du pays d’Oz, paru en 1900 et écrit par Lyman Frank Baum. D’après la bibliothèque du Congrès américain, cet ouvrage est historique puisqu’il serait le premier conte américain destiné aux enfants. Mais faute d’accord avec le fils de l’auteur, les droits reviennent à la Chadwick Pictures Corporation (société de distribution fondée en 1915 qui se lance dans la production cinématographique à partir de 1924). C’est ainsi que voit le jour Le Sorcier d’Oz en 1925, première adaptation notable du roman. Après un nouvel échec des négociations en 1933, la MGM obtient finalement les droits l’année suivante.
Après le succès de Blanche-Neige et les Sept Nains, en 1937, le président de la MGM souhaite s’inspirer de la réussite de Disney en conservant la magie originelle du roman. De 1937 à février 1939, quatorze scénaristes se succèdent pour élaborer le script. Parmi les trois qui sont finalement crédités, Noel Langley est celui qui a apporté le plus d’éléments à l’histoire, notamment les souliers en rubis et la morale sous forme de « Home Sweet Home ».
En septembre 1938, Richard Thorpe, qui n’est pas encore connu pour ses réalisations de films avec Tarzan, est engagé à la réalisation. Mais après avoir visionné les premières séquences, la production ne retrouve pas la vision enfantine attendue et se sépare du réalisateur. George Cukor, repéré et engagé par Hollywood pour son travail de metteur en scène théâtral à Broadway dans les années 1920, est sollicité pour aider au montage du film, juste avant qu’il ne se lance dans le tournage d’Autant en emporte le vent. Il change la perruque blonde de Judy Garland et réduit considérablement son maquillage pour revenir à l’image d’une petite fille du Kansas. Après son départ pour Autant en emporte le vent, c’est Victor Flemming qui est nommé pour remplacer Thorpe à la réalisation. Le cinéaste conserve les changements effectués par Cukor. Ironie du sort : quelques semaines avant la fin du tournage, Flemming est appelé à la rescousse pour sauver celui d’Autant en emporte le vent. En effet, les relations sont très tendues entre George Cukor et l’acteur Clark Gable, à tel point que ce dernier ne menace de quitter le projet si son ami Flemming ne prend pas le relai. Cukor quitte donc la réalisation et laisse la place à Flemming. Sur le tournage du Magicien d’Oz, c’est King Vidor qui termine de boucler les dernières séquences, notamment celle où Judy Garland chante « Over the Rainbow ». Jusqu’à la mort de Flemming, Vidor n’a jamais révélé sa participation et a toujours refusé que son nom soit crédité au générique, conscient que la quasi-totalité du travail a été faite par son prédécesseur.
Pour interpréter l’héroïne Dorothy, les producteurs jettent dans les premiers temps leur dévolu sur Shirley Temple, première enfant star à avoir reçu une si grande renommée internationale. Mais l’échec des premières auditions et le refus de la 20th Century Fox de céder sa star enfantine ont raison de sa participation. Finalement, la production se rabat sur Judy Garland, alors âgée de 16 ans et déjà sous contrat avec la MGM depuis 1936, avec l’espoir de lancer la carrière de la jeune actrice, qui ne compte alors que deux courts-métrages et un film quasiment inconnu.
Dans le rôle de la Méchante Sorcière de l’Ouest, personnage antagoniste de l’histoire, Blanche-Neige et les Sept Nains a également eu une influence déterminante. Initialement, le producteur souhaitait copier le côté glamour et sexy de la sorcière ennemie de Blanche-Neige, malgré l’avis contraire de la MGM. Cette réticence n’empêche toutefois pas l’arrivée de Gale Sondergaard, lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 1936, considérée par le producteur comme la plus fidèle à l’image voulue de la Méchante Sorcière de l’Ouest. Mais son physique sexy ne plait pas au studio, qui impose un maquillage différent pour l’enlaidir. Refus de l’actrice qui quitte le projet et cède sa place à Margaret Hamilton, actrice occasionnelle qui est déjà apparue dans quelques rôles pour gagner des revenus supplémentaires à ceux de sa profession d’institutrice dans la vie civile.
Enfin, pour interpréter les personnages qui accompagnent Dorothée dans son aventure, la MGM propose d’abord à Ray Bolger le rôle de l’Homme en fer. Mais l’acteur, déçu, finit par convaincre le président du studio que l’Epouvantail est le rôle qui lui irait le mieux. C’est Buddy Ebsen qui obtient d’abord le rôle de l’Homme en fer. Mais un jour, le maquillage en aluminium posé sur son visage lui provoque des difficultés à respirer et il est conduit aux urgences. Le verdict est sans appel : l’acteur a inhalé de l’aluminium et doit être placé en convalescence. La Fox confie alors au studio l’un de ses acteurs, Jack Haley, pour le remplacer. Ce dernier arrive sur le tournage en ignorant le sort de son prédécesseur et profite d’un maquillage en pâte d’aluminium qui n’éveillera jamais ses soupçons. Enfin, Bert Lahr, connu pour son allure comique, est engagé pour interpréter le Lion peureux.
Le tournage débute dans un rythme exigeant, lors de journées commençant à 5h du matin et se terminant parfois à 20h. Les costumes lourds et inconfortables gênent les acteurs, et Judy Garland est contrainte de supporter les volontés du réalisateur qui va jusqu’à lui administrer des amphétamines pour qu’elle conserve son énergie. De plus, Margaret Hamilton évite de justesse le pire lors de sa première scène, où les flammes la brûlent partiellement. Heureusement, le retrait immédiat de son costume en cuivre permet d’éviter une catastrophe encore plus grande car le matériau lui aurait rongé le visage sous l’effet de la chaleur. Après six semaines de convalescence, l’actrice finit par revenir sur le tournage, qui prend fin en mars 1939. Une première version de 120 minutes est jugée trop longue et des séquences jugées trop effrayantes avec la Méchante Sorcière de l’Ouest sont supprimées.
Malgré plusieurs écarts pris par rapport au roman original, l’histoire reste sensiblement la même. Dorothy est une petite fille vivant dans une ferme du Kansas. Au cours d’une tornade, elle se retrouve transportée au pays d’Oz. Pour pouvoir rentrer chez elle, elle doit se rendre au palais d’Emeraude où vit le magicien. Sur sa route, elle rencontre trois personnages atypiques qui se joignent à sa quête, mais doit aussi affronter la Méchante Sorcière de l’Ouest.
Depuis la parution du livre en 1900, les analyses et interprétations de l’histoire de Baum ont été vivement débattues, et le sont encore aujourd’hui. La thèse la plus célèbre est celle de Henry M. Littlefield, en 1964, qui vise à comparer le Pays d’Oz à la situation économique des Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, et à faire de l’œuvre de Baum une allégorie du populisme américain à cette époque. Dans les années 1890, le pays affronte une violente crise financière où le manque de stock d’or entraine de nombreuses faillites et autant d’endettements de fermiers. En 1892, le Parti populiste est créé et défend l’adoption du « bimétallisme » pour que l’argent soit utilisé en plus de l’or, permettant ainsi d’alléger les dettes des agriculteurs. Quatre ans plus tard, le candidat démocrate William Jennings Bryan fait de cette réforme son cheval de bataille lors de l’élection présidentielle de 1896, mais échoue face au républicain William McKinley. Pour Littlefield, le lion peureux à la recherche de son courage est en réalité William Jennings Bryan, qui cherche à aider le peuple américain déboussolé (Dorothy), les fermiers (L’épouvantail) et les ouvriers (L’homme de fer). Ensemble, ils marchent jusqu’au palais d’Emeraude du magicien d’Oz en suivant la route de brique jaune (l’or). Mais à leur arrivée, le magicien d’Oz se révèle malheureusement être un imposteur, comme beaucoup d’hommes politiques de cette époque marquée par la corruption. Cette thèse est également consolidée par la couleur des chaussures de Dorothy. Si elles sont d’un rouge éclatant dans le film (les studios MGM voulaient montrer aux spectateurs les capacités du Technicolor), les elles sont en fait argentées dans l’histoire originale de Baum. Le Magicien d’Oz serait donc un éloge du bimétallisme de la part de Baum, dont on sait d’ailleurs qu’il fut un fervent supporter de Bran lors des élections présidentielles américaines de 1896. Mais cette thèse est encore largement débattue de nos jours puisque dans l’introduction de son conte, Baum assure que « l’histoire du Magicien d’Oz a été écrite pour le seul plaisir des mômes d’aujourd’hui ». Où se situe la vérité ?
Quoiqu’il en soit, depuis sa sortie, Le Magicien d’Oz est devenu une référence incontournable dans la culture populaire américaine, qui a inspiré de nombreuses créations culturelles postérieures. Nommé dixième meilleur film de tous les temps par l’American Film Institute et intégré dans de multiples autres classements par cette même organisation, ces hommages démontrent la place de ce conte musical, féérique et onirique dans la culture populaire américaine.
Sur le devant de la scène, l’interprétation de Judy Garland est convaincante, en particulier lors des scènes musicales. La plus connue de toutes a fait connaître au public la chanson « Over the Rainbow », maintes fois reprises et réutilisée depuis. C’est la première chanson du film alors qu’elle est l’une des dernières à avoir été écrite par Harold Arien, mais surtout la première du classement des cent plus grandes chansons du cinéma américain. Symbolisant les rêves et les espoirs de la jeunesse à travers l’espérance d’un monde meilleur et plein de couleurs de la part de Dorothy, un « arc-en-ciel », elle a été provisoirement coupée au montage, avant d’être finalement réintégrée. La symbolique d’idéal et de rêve des couleurs vives et chatoyantes sont au cœur du film et sont mises en valeur par le Technicolor. L'ouverture du film en sépia renforce la vision peu radieuse du monde dont Dorothy cherche à s’échapper. Orpheline, elle ne se sent pas à sa place et ne pense pas avoir le soutien de ses proches. La majorité des personnages du monde réel a ensuite sa place à Oz, sous d'autres apparences, pour garder le lien entre le rêve et la réalité. Et le passage du sépia à la couleur souligne l’entrée dans le monde rêvé et chanté par Dorothy, le pays « au-delà de l'arc-en-ciel ». Le choix du Technicolor trichrome de l’époque a incontestablement été motivé par des raisons commerciales. En effet, cette technologie a été mise au point en 1928, et bien que le premier film en couleur trichrome, Des arbres et des fleurs, réalisé par les studios Disney, arrive sur les écrans en 1932, le premier vrai succès de ce procédé révolutionnaire est le premier long métrage d'animation des mêmes studios : Blanche neige et les sept nains, sorti en 1938. En fait, Des arbres et des fleurs a été une sorte de laboratoire d’expérimentation pour préparer le terrain du film Blanche-Neige. Pour la MGM, il est donc nécessaire de s'adapter et de concurrencer Disney pour espérer éblouir le public. Et le recours au Technicolor trichrome n’est pas la seule arme dont va se servir le studio pour promouvoir le film.
En effet, dès janvier 1939, soit trois mois avant la fin du tournage, un char à l’effigie du film défile lors de la traditionnelle parade des roses à Pasadena, en Californie, un évènement rassemblant en moyenne un million de spectateurs et apportant ainsi une grande visibilité au long-métrage. L’attente est si grande de la part des adolescents que lors de la première new-yorkaise du film le 17 août, à la gare du Grand Central Terminal, 10 000 fans accueillent Judy Garland dans une euphorie générale qui provoque une émeute. Il faut compter pas moins de 250 policiers pour maitriser le mouvement de foule et rétablir l’ordre. Et lors de l’avant-première du film au Théâtre du Capitole, ancien lieu où étaient diffusées pour la première fois la plupart des premières des films MGM, 15 000 personnes font la queue pour découvrir Le Magicien d’Oz, faisant de la sortie du film l’une des plus réussies de l’époque.
Mais face à la concurrence d’Autant en emporte le vent, sorti la même année, difficile de rentabiliser le budget de 2,6 millions de dollars, le plus important de la MGM jusqu’alors. L’exploit est tout de même accompli, avec des recettes estimées à plus de 16 millions de dollars à la fin de l’année.
Lors de la cérémonie des Oscars de 1940, Autant en emporte le vent est le grand favori avec pas moins de treize nominations. Et même si Le Magicien d’Oz n’est pas en reste avec cinq nominations, l’équipe du film ne se fait pas de faux espoirs, surtout que Victor Flemming est nommé dans la catégorie du meilleur réalisateur pour Autant en emporte le vent, ce qui ne laisse guère de doute sur la préférence des critiques. Finalement, Le Magicien d’Oz décroche les Oscars de la meilleure musique de film et de la meilleure chanson originale pour « Over the Rainbow ». Le film sauve donc l’honneur même s’il est dommage de réduire sa performance à sa création musicale.
Grâce au Technicolor, ce conte musical n’a visuellement pas pris une ride. La mise en scène est exceptionnelle grâce à des costumes époustouflants et très travaillés, des décors surréalistes, des couleurs chatoyantes, des musiques inoubliables et des morales cultes au sens intemporel. Cet ensemble soigné et féérique forme un univers à part entière, connu de nombreux enfants et adultes. La voix de Judy Garland est une merveille à écouter lors des scènes musicales et il se dégage globalement une bonne énergie, mais qui a parfois tendance à partir dans tous les sens. Les interprétations sont exagérées et à trop vouloir faire dans le film enfantin, la MGM a livré une adaptation franchement très naïve et parfois un peu bébête. Au final, un long-métrage agréable à regarder pour les enfants, mais qui risque d’avoir du mal à attirer l’intérêt des adultes.