Dans les yeux d’une fillette
Que peut-on y voir pendant 84 minutes ? Tout ou presque. La peur, la colère, la joie, la tristesse, la haine, l’incompréhension… tout je vous dis. Cléo a tout juste six ans. Elle aime follement Gloria, sa nounou qui l’élève depuis sa naissance. Mais Gloria doit retourner d'urgence au Cap-Vert, auprès de ses enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir une promesse: la revoir au plus vite. Gloria l’invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier été ensemble. Depuis 2014, et son très remarqué Party Girl, Marie Amachoukeli avait disparu des radars. Elle réapparaît avec cette petite merveille bouleversante, où elle se révèle comme une formidable conteuse d’émotions. J’ignore si vous pourrez encore voir ce superbe petit film sorti trop discrètement sur les écrans le 30 août dernier et qui n’arrive dans ma région qu’aujourd’hui. Si c’est le cas, précipitez-vous.
Ce film raconte la place de quelqu’un qui s’occupe d’un enfant pour gagner de l’argent car c’est son travail, et comment parfois cela déborde… C’est la réalisatrice qui parle ainsi du même drame qu’elle a vécu à 6 ans, l’âge exact de la petite Cléo. La leçon de ce film c’est qu’il n’y a pas que les parents qui peuvent avoir un amour débordant pour leurs enfants, et qu’à l’inverse, un enfant peut ressentir cet amour-là, absolu, pour une personne qui n’est pas son parent. Ce film a fait l’ouverture de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes et on comprend mieux pourquoi. L’émotion est ici palpable, les sentiments vrais, et la caméra suit chaque regard, chaque caresse, chaque mouvement de la nounou et de la petite fille. En nous racontant toute cette histoire à hauteur des yeux de Cléo, la cinéaste privilégie avec beaucoup d’habileté le hors-champ en limitant son récit à travers le prisme, même s’il peut s’avérer déformant, du regard d’une enfant. Et on ne peut pas passer sous silence, les parties en peinture animée qui ponctuent les différents épisodes, et qui sont d’une réelle beauté. Un film sensoriel qui ne pourra vous laisser insensible.
La petite Louise Mauroy-Panzani a une présence incroyable. Tout est effectivement dans son regard et, comme je l’ai dit, elle nous fait partager tous les moments intenses de sa vie de fillette car elle est filmée au plus près avec une rare intelligence. Ilça Moreno Zego, capverdienne d’origine, a vécu une bonne partie des événements relatés dans ce film. C’est effectivement sa vie réelle qui a enrichi le scénario. Le film raconte donc le parcours de deux émancipations : celle d’une femme qui revient dans son pays pour ne plus être l’employée de qui que ce soit et devenir indépendante, et celle d’une enfant qui apprend à grandir et s’aventurer dans la vie. Un petit miracle foudroyant de tendresse, de délicatesse et de pureté, qu’il faut découvrir.