C'est l'histoire d'une femme ni douce, ni très aimante, qui domine son couple, bouffe son mari et le
pousse au suicide, mais au regret du roquet en robe rouge, ce n’est pas elle qui l’a poussé. Aussi l'accusée n'avouera jamais que son avocat à une tête de fennec.
- Cette critique contient des spoilers -
Anatomie d'une chute est un film de procès au suspense constant mais finalement sans surprise. Mais c'est en allant bien au-delà de son genre qu'il est allé amasser ses multiples récompenses. Car s'il est bien un thriller psychologique haletant dont on ne voit pas passer les 2H30 (j'ai l'impression que depuis Parasite, les films palmables et oscarisables sont de plus en plus faciles d'accès), Justine Triet crée un film de procès à nul autre pareil en boudant la plupart des scènes incontournables du genre (absence de plaidoirie et de la délibération). On ne voit jamais le jury ou presque, pas plus que l'on ne sait si l'accusée avait un mobile ou la position de la famille du mort. Triet se refuse à filmer ces visages fascinés par l'étalage des vies privées et du morbide pourtant légions dans les téléfilms TF1. Le couple principal est lui aussi atypique, plutôt qu'un homme carriériste et une femme battue, archétype des films de procès, on a un homme dédié à son gamin et une mère à succès, forte et froide qui privilégie sa carrière et l'écriture à son rôle de mère.
Le film est plus tranché que je ne le pensais initialement. L'intervention déterminante de l'experte en balistique arrive d'ailleurs trop tôt dans le film.
Le récit garde néanmoins des zones d'ombre à commencer par celle que j'avais initialement oubliée: la conviction (initiale ?) de l'accusée est une chute accidentelle. Il n'empêche qu'elle défend (sur conseil de son avocat) la thèse du suicide. Anatomie d'une chute est donc un film sur la recherche de vérité qui nous annonce dès le départ que le camp de notre héroïne défend une "vérité" auquelle... elle ne croit pas.
D'ailleurs l'accusée est elle innocente ? selon l'avocat "That's not the point".
L'épilogue ne cède à aucune facilité, pas de flashback qui à l'image de la dernière version de The Last Dual serait une vérité absolue, on a bien cette conversation en voiture mais on peut sans trop forcer imaginer qu'elle est inventée (consciemment ou non) par Daniel. Je m'explique, une scène avant le gamin supplie Marge de l'aider car il est paumé. Cette dernière lui répond en substance: "tu ne sais pas mais il faut faire un choix". Le lendemain, il récite un long échange datant de plus d'un an qu'il aurait eu avec son père dans la voiture. Un peu étrange qu'il n'en parle que maintenant non ? Rajoutez à cela qu'il a menti sur son premier témoignage et le "calme" des voix de ses parents lors de son départ en balade, la logique selon laquelle il fait le CHOIX de sauver sa mère sans vraiment savoir lui-même la vérité est loin d'être absurde.
Le récit illustre admirablement sa promesse de départ : la multiplicité des vérités. L'accusé, les experts, le procureur, tous ont leur point de vue, nuancé. Charge au spectateur de challenger, recontextifier à l'image du moment où Sandra réplique au psy de Samuel qu'il s'agit de sa vérité mais qu'elle n'est qu'une petite partie de la vérité. La réalisatrice en plus de multiplier les points de vue sur une situation ajoute à son héroïne le handicap de la langue ce qui la rend encore plus distante. D'ailleurs il n'y aura aucune embrassade avec Marge qui déserte la maison immédiatement, n'ayant visiblement aucune envie de passer du temps avec celle qui vient pourtant d'être innocenté.
Le film prend quelques minutes pour taper sur la vision de la vérité selon BFM tv ("danger !!") mais aussi un cercle littéraire.
Le film n'est pas aussi critique du système judiciaire que je l'aurai pensé même si on voit l'avocat de Sandra hypothéquer sa maison et cette dernière se désoler que même innocentée "on ne gagne rien", uniquement la chance de ne pas être condamner à tort. Dans ce cas précis le battage médiatique a vraisemblablement fait s'envoler ses ventes de livre, il n'empêche qu'on imagine aussi les impacts concrets dans la vie de l'accusé, la méfiance de ses amis, connaissances, voisins avant le procès et les doute sur ses conclusions après. Même en innocentant, la justice abime, s'excuse rarement et dédommage encore moins souvent.
Enfin si j'ai aimé ce film c'est parce que les mots sont au cœur de ce cinéma. Les deux avocats se livrent une joute verbale d'exception dans deux styles très différents: agressivité, provocation voir insolence, contre le calme et la précision clinique. J'aime définitivement les films verbeux.
Deux scènes : le plan de départ avec le Border Collie et la réponse de Sandra sur pourquoi elle n'en a pas voulu plus de quelques jours à son mari.