Adaptation du célèbre roman d’Hemingway ("En avoir ou pas"), "Le port de l’angoisse" (titre français ridicule) est surtout resté dans la mémoire des cinéphiles comme un film d’Humphrey Bogart et de Lauren Bacall (dont c’est la première apparition sur grand écran), voire un classique dont on retient la scène de la leçon de sifflement ("Vous savez siffler, Steve ? Vous rapprochez vos lèvres comme ça et vous soufflez ! "). si je suis assez dubitatif quant à la postérité de cette seule réplique, je ne peux que comprendre pourquoi le couple de star a totalement phagocyté l’œuvre d’Hemingway auprès du public, tant ils nous subjuguent avec leur numéro parfaitement rôdé. Humphrey Bogart campe, ainsi, un nouveau baroudeur cynique à qui on ne la fait pas mais qui cache un grand cœur derrière cette façade désabusé. Quant à Lauren Bacall, il nous ressort sa panoplie de beauté effrontée (cassant l’image habituelle de la nunuche énamourée) qui, malgré ses élans d’indépendance, tombera sous le charme du héros. On a beau avoir déjà vu leur confrontation ailleurs (voir, par exemple, "Le Grand Sommeil" sorti 2 ans plus tard), on peut difficilement résister au charme de leur relation, tout en retenue et en dialogues acérés. L’ambiance du film est, également, à mettre à son crédit puisqu’il nous propose d’arpenter le port de Fort-de-France sous occupation nazie (ou, plutôt, vichyste)… soit un lieu et une époque inhabituels qui ne sont pas sans rappeler "Casablanca". Malheureusement, "Le Port de l’angoisse" ne parvient pas à hauteur du film de Michael Curtiz et ce pour plusieurs raisons. L’intrigue, tout d’abord, manque un peu de consistance (malgré la présence d’Ernest Hemingway et de William Faulkner au générique) et se repose beaucoup trop sur le talent de son duo vedette. A moins que ce ne soit le rythme du film qui le rende à ce point mollasson… pourtant, la quasi-unité de lieu aurait dû contraindre le réalisateur Howard Hawks à faire preuve d’un peu plus d’audace visuelle ou, à tout le moins, à mettre en exergue la musique. Il semblerait, cependant, qu’il ait préféré multiplier les scènes de chant (avec le chanteur Hoagy Carmichael au piano), ce qui vient ralentir un peu plus encore le rythme et rester très sage, tant avec sa caméra qu’avec sa table de montage. On ne peut qu’être surpris qu’avec un tel sujet et un tel héros, la mise en scène de Hawks manque autant de souffle… comme le rappelle le final qui s’appesantie sur de longues minutes et ne surprend guère (en comparaison, "Casablanca" était une merveille de conclusion). Enfin, les seconds rôles auraient, sans doute, gagné à être un peu mieux écrits ou, à tout le moins, personnalisés. Difficile, en effet de retenir une prestation autre que celle du duo vedette (Dan Seymour en méchant vichyste en prévisible, Marcel Diallo en passeur est transparent, Dolores Moran en tentatrice est trop archétypale…), à part, peut être, l’interprétation embrumé du méconnu Walter Brennan qui campe un acolyte alcoolique touchant dans sa relation avec le héros. "Le Port de l’angoisse" reste, certes, un film intéressant qui aura eu le mérite de faire découvrit l’immense Lauren Bacall mais me paraît un peu trop surcoté par rapport à d’autres chefs d’œuvre de l’époque qui le surpassent de beaucoup !