1942 en Martinique où les Vichystes traquent les Gaullistes partisans de la France libre, un américain organise des sorties pêche à l’espadon pour de riches compatriotes. Il prend bien garde de se tenir à l’écart de ce conflit et pense avant tout à ses affaires. Les Etats-Unis n’entreront en guerre que dans l’hiver de cette même année après avoir subi une attaque sur leur propre sol à Pearl Harbor. Le parallèle entre l’Histoire et Harry le pêcheur gêna un peu aux entournures la commission de censure. En effet Harry à l’image de son pays n’a que faire du conflit tant qu’il est propice à ses affaires ; Harry à l’image de son pays prendra part lorsque ses propres intérêts seront attaqués. Après cet aparté, le cœur du film n’est pas cette intrigue assez basique de film noir. Tiré d’un roman très médiocre aux dires de son auteur, Ernest Hemingway ; William Faulkner, grand auteur en devenir quant à lui, en tira un scénario librement adapté très efficace. Le décor est planté avec une dream team aux commandes : Hemingway-Faulkner-Hawks. Ce dernier est la figure emblématique de l’Hollywood de l’époque et un des rares à s’illustrer dans tous les genres cinématographiques : film noir (« Le grand sommeil »), western (« Rio Bravo »), la comédie (« Les hommes préfèrent les blondes ») ;…
Pour ce projet, Howard Hawks manie son intrigue comme un simple prétexte à montrer un coup de foudre, la naissance d’une passion amoureuse. Le grand travail en amont du film de Hawks fût de trouver son interprète féminine avec cette inconnue : « Est-ce que tu crois qu'on pourrait créer un personnage féminin qui soit insolent, aussi insolent que Bogart, qui insulte les gens, qui le fasse en riant, et arriver à ce que le public aime ça ? ». Et là, il découvrit celle qui devint « The Look » ; Lauren Bacall. Débutante, la petite Newyorkaise de 19 ans, éclabousse l’écran dès sa première apparition sur la pellicule. Adossée à l’encadrement de la porte de chambre de Bogart, le menton baissé mais le regard, frondeur et aguicheur, levé vers celui qui deviendra son futur époux, elle fait craquer son allumette… Et pas que l’allumette, c’est le vieux loup froid et ténébreux de Bogart qui craque au même instant. Rare au cinéma, c’est le début d’une passion amoureuse qui est filmé dans cette fiction et çà transparaît tellement à l’écran que même 70 ans après, le spectateur est contaminé par ce bonheur palpable. Eloge de la décontraction, pour sûr, Hawks les laissa bien souvent improviser, l’histoire de personnages de cinéma a tellement si peu souvent collé avec ce que vivait au même moment leurs interprètes. Nouvelle forme de femme fatale, Lauren Baccal est magnifique et dire que c’est sa timidité et son angoisse qui l’ont poussé à avoir ce regard si particulier devenu mythique. A cela on ajoute sa voix rauque si particulière ; a star is born.
Et puis quelle délectation d’entendre ces échanges verbaux emplis de sous entendus, épicés à souhait et balancés avec tant de naturel. Ce couple mythique, Bogart-Baccal, crève l’écran mais pas au point d’évincer des seconds rôles qui tiennent une vraie place dans le film. A ces seconds rôles, on peut même ajouter la cigarette qui pour moi est réellement le troisième personnage incontournable du film. Beaucoup comparent aussi ce film à un sous « Casablanca » et Bogart déjà de la partie avec Ingrid Bergman sur ce dernier avait plaisir de dire que ce n’était pas faux mais là les personnages ne songent guère au passé et l’avenir les tourmente peu. Et c’est tellement vrai ; la définition de la passion amoureuse. A part Bogart qui est des deux films, d’autres points communs entre ces deux chefs d’œuvre : la place du pianiste de jazz y est aussi importante avec de belles chansons entonnées par Baccal, le film noir autour de Vichy,…
Enfin la réalisation d’Hawks est assez classique avec une caméra souvent fixe, mais l’alternance de plans serrés et rapprochés ainsi que le montage incisif et tendu feront le travail. Les scènes d’action en sont un bel exemple. Le tout offre des plans inoubliables par leur composition magnifiée et par un gros travail sur la lumière.
Malgré ses défauts, un film à savourer sans modération…