C'est le sentiment d'un film imparfait, mais tellement authentique, qui ressort de la vision de cet Enfant Sauvage. Cette histoire est peut être véridique et date peut être du XIXe siècle, elle sonne pourtant tout à fait truffaldienne! Il n'est absolument pas étonnant qu'il se soit attaqué à ce récit d'un enfant retrouvé en forêt, que l'on tente d'élever dans la société humaine. Une histoire qui permet à Truffaut de s'interroger sur les notions de sauvage et d'humain, de nature et culture, de la communication entre les êtres, et donc, surtout, du langage et de son origine.
Comment ne pas être fasciné par le cas de ce petit Victor, qui doit ré-apprendre à parler, à distinguer les sons et les objets? Face à Victor, nous retrouvons alors le docteur Itard, qui se donne corps et âme pour tenter d'éduquer cet enfant sauvage, avec passion et parfois avec excès. C'est en fait l'histoire d'une communication qui se joue devant nous, de ce lien d'altérité qui transformerait peut être Victor en homme. Victor devient ici une sorte de cousin de Doinel, enfant perdu sans repères qui cherche à trouver son rapport au monde. Et Truffaut qui s'identifie cette fois au professeur plutôt qu'à l'enfant, comme pour offrir à Doinel un père par procuration. Le regard final dégage la même intensité, mais au lieu d'être seul sur la plage, il regarde un autre être humain, il ouvre enfin la porte vers une communication et une altérité. Un dernier regard qui reste longtemps gravé dans la mémoire..
Avec cette histoire en or, Truffaut propose une mise en scène dépouillée, mais néanmoins travaillée, avec un noir et blanc particulier, une structure ponctuée par des fermetures à l'iris pleines de sens, et un usage intelligent de symboles (clé, miroir, fenêtre,...). La caméra, le mouvement des personnages, le jeu de regards et la musique sont tout à fait cohérents avec l'évolution de la relation entre les deux hommes, et ce sans jamais venir dépasser celle-ci. Bien sûr, il y a des imperfections : on peut déplorer le jeu maladroit de Truffaut, même si celui de Jean-Pierre Cargol est tellement splendide qu'il le compense largement. On peut regretter une structure répétitive, guidée par une voix-off parfois lourde, même si la dernière séquence vient empêcher ce constat trop rapide. Mais les autres aspects évoqués font pardonner ces quelques maladresses.
Ce n'est sans doute pas le Truffaut le plus réussi, d'un point de vue technique ou artistique, mais qui sait si, à travers l'histoire d'un enfant sauvage, il n'a pas réalisé son film le plus humain?