C'est en 1978, à peine trois ans après la fin de la guerre du Vietnam, qu'a été tourné Voyage au bout de l'enfer. Chronique bouleversante d'un groupe d'amis, soudés, dont trois d'entre eux sont appelés au combat, s'entame alors un véritable combat pour la survie, mais surtout une survie par la suite. Doté d'un casting cinq étoiles, le film est souvent considéré comme le meilleur traitant de la guerre au Vietnam. Et dont le statut est amplement mérité. Nous suivons donc au départ cette petite troupe de joyeux lurons à travers leurs moments de bonheur quotidiens : une petite ville en Pennsylvannie, le bar du pote chez qui trainer, le mariage de l'un d'entre eux, et leurs parties de chasse matinales en pleine montagne, séquences particulièrement biens filmés, comme celle du long plan sur l'animal à l'agonie, plan qui aura son importance par la suite. Le climat se pose, le début est lent, une heure, une heure pour que l'on attache aux personnages, et puis soudain, avec cet air de piano, le silence, tout s'arrête, un long plan sur les visages émus et de nouveau sérieux des protagonistes, comme la fin du bonheur, de la tranquillité, de l'insouciance. Puis c'est ici que commence le "voyage au bout de l'enfer".
Si la seconde partie est plus courte que les autres, elle n'est pas en reste en matière d'intensité, et dès les premières minutes, c'est l'horreur qui se présente à nous, la guerre, crue, violente : des explosions, puis la bouleversante scène où une femme et son bébé tentent tant bien que mal de s'en sortir, voilà la guerre, voilà l'horreur, où tout est déshumanisé, monstrueux, et cela nous fait froid dans le dos. Puis ensuite, les longs moments d'attentes et de tension durant les jeux de "roulettes russe", intenses et bouleversants moments où les protagonistes sont à la lisière de la folie, du "pétage de plomb". Des soldats fragiles, sur lesquels la guerre aura un impact considérable.
Comment vivre à nouveau après le traumatisme d'une guerre ? Telle est la question, irrésolue, ou alors bien trop négative pour la voir en face. La troisième partie du film, le retour "at home", et ses conséquences. Car le film traite d'une façon intelligente l'avant et l'après guerre, et le traumatisme énorme qu'elle cause par la suite. Steve, le plus fragile, se retrouve en fauteuil roulant, se refuse à sortir de l'hôpital des vétérans, et dans la poignante réplique "ce n'est pas ma place !" passe un message fort : celui de l'incapacité à revenir indemne de tout cela, à se réintégré dans un univers où tout tourne correctement, voilà la réalité, voilà la tristesse.
Dans ce retour donc, nous voyons les tentatives de se retrouver, de recommencer à vivre, puis à retourner chasser entre amis, mais ces tentatives sont finalement bien vaines, car la guerre change à jamais, et nous le voyons avec la puissante scène où Stan se prend de colère envers Axel et que Michael, de la même manière qu'au combat, tire sur Stan avec la probabilité de le tuer; mais c'est surtout la scène de chasse, où Michael en face du cerf, qui le regarde, se décide à ne pas tirer, chose qu'il faisait aisément avant, mais qui lui est impossible de faire après ce contact si âpre avec la mort. Et celle de Nick sera d'une intensité sans précédent, bouleversante, terrifiante, son visage dur, fermé, sans vie : la guerre, des conséquences irréversibles.
Voyage au bout de l'enfer est donc bel et bien le meilleur film traitant de la guerre du Vietnam (bien que je n'ai pas encore vu Apocalypse Now ni Platoon donc je juge par rapport à mon expérience personnelle) par sa justesse de ton, sa grande beauté esthétique et morale, et sa puissance émotionnelle. Du grand cinéma porté par des acteurs d'exception : De Niro, Walken, Cazale et Meryl Streep; dont le jeu est rempli de sincérité et de force. Une magnifique fresque sur la guerre, ses traumatismes physiques et mentaux sur fond d'une splendide histoire d'amitié, à voir absolument.