Estampillé comme étant le chef d’œuvre ultime dans la filmographie de Michael Cimino et accessoirement de Christopher Walken, Voyage au bout de l’enfer fut accueilli avec les honneurs lors de sa sortie. Bien des années plus tard, le mythique long métrage puise encore sa force dans son propos pessimiste, sa qualité d’interprétation et la profondeur humaine avec laquelle le cinéaste s’est octroyé le luxe de disserter sur la guerre du Vietnam. Issu du prolétariat par excellence, trois amis, collègues, sont engagés pour se battre en Indochine, tous survivront, mais à quel prix? D’emblée, le réalisateur dresse le portrait d’une Amérique industrialisée à outrance, crasseuse, bruyante, dont l’échappatoire de la population tient ici en deux mots, biture et chasse. Travailleurs inconditionnels, nos amis, d’origine slave, là encore une subtilité, se marient, se disputent, copulent, s’amourachent et finalement seront séparés par un conflit qui ne leur appartient pas.
Si la première heure peut paraître longue, futile, elle permet d’amener chaque personnage dans son contexte, les forts, les faibles, les ignorants y sont clairement définis. L’amitié est le moteur d’une longue entrée en matière qui fait ressortir les caractères, les humeurs de chacun. Vient ensuite la guerre, que Cimino dépeint avec violence, cruauté et dont il nous épargne l’arrivée sur place, les sempiternels codes propres au film y relatifs. Le récit fait vivre un enfer à nos trois soldats, prisonniers, évadés et laissés pour compte. Le retour au pays du personnage de Robert De Niro déclenche l’avènement de l’ultime chapitre, synonyme de blessures psychiques plus encore atroces que les cicatrices sanglantes laissées par les combats, la torture et la jungle. De là, le cinéaste dresse un portrait polyvalent des vétérans du Vietnam, ceux qui semble s’en tirer, ceux qui passeront le restant de leur vie handicapé et ceux qui ne reviendront jamais à la raison.
La roulette russe prend ici la place du vice absolu. Aussi horrible que soit la guerre, c’est finalement lors d’une longue séquence de barillet dans un camp Viet Kong poisseux que nos trois ouvriers perdront leur innocence. La cruauté des tortionnaires est bouleversante, la folie des personnages est choquante et personne ne ressortira de là aussi blanc qu’avant. Pour Nick, incarné par un Christopher Walken qui n’aura plus jamais aussi brillé au cinéma, la découverte de l’adrénaline ultime l’empêchera de renouer avec sa vie d’avant. Le personnage de Robert De Niro, fou allié et paradoxalement le sauveur de la situation sera finalement le seul à semble-t-il s’en tirer avec les honneurs. La redécouverte de son patelin, de ses amis et conquêtes l’amèneront à retrouver son passé en pourchassant son ancien ami dans un pays ravagé, parcourant les tripots ou les hommes jouent du revolver alors que l’on brasse le pognon tout autour de la table.
Peut-on revenir de l’enfer, s’acclimater? Voilà la question que pose Michael Cimino. Le film est aussi puissant que poisseux, aussi captivant que vide de sens. Chacun vit selon son ressenti, certains oublient, d’autres ne le pourront jamais. La guerre aura brisé la vie de cette bande d’amis, américains moyens qui n’auront finalement rien demandé mais à qui l’on a presque tout pris, de l’innocence à l’avenir en passant par la vie. Inutile de parlementer plus encore sur un chef d’œuvre émouvant et immortel hormis qu’il soit essentiel de glorifier sa mise en scène, des décors naturels extraordinaires aux séquences plus intimes qui montrent dans toute sa beauté l’importance des expressions face à l’insupportable vérité, l’insupportable cruauté. Comme mentionné, seul le plus fort, soit le plus fou d’entre tous, formidable Robert De Niro, finira par s’en sortir indemne. 18/20